Le Foss
par Josef (voir aussi Un vrai trou du cul)
Bon...Qu'est-ce
que je fais à quatre pattes dans l'herbe à 6h du matin?
Cette question se pose à moi tandis que mes sens réintègrent leurs pénates
dans une bouffée de lucidité.
Le son d'abord...j'entends les voitures qui filent sur la route, à deux mètres
de moi, rugissements de bêtes-monstres d'acier tandis que je me terre dans
ma tranchée, alors que le toucher reviens à moi. Bon, pour l'odorat et le
goût, en bref, ça sent la vieille herbe pourrie, et la terre, c'est pas très
bon.
Et la vue...
EHOH la vue!...
Ah, on m'apprend qu'il fait nuit...Bon...je distingue quand même à la lueur
intermittente des phares l'endroit où je me trouve, un fossé le long d'une
nationale, sans pour autant me souvenir de la raison pour laquelle je m'y
trouve. Mais j'aperçois une forme à côté de moi et dans un hurlement de lumière
je vois la personne qui se meut, là, tout près...C'est Fabien...Merde...Il
a l'air très affairé. Il tient son briquet à la main et il inspecte consciencieusement
le sol. Je ne sais pas ce qu'on en train de faire mais ça à l'air amusant.
Je me rapproche de lui, déterminé à participer moi aussi à l'action, et je
lui hurle:
(un camion déboule sur la route, plus haut. VVVVVRRRAAAAAMMMM)
- Je peux jouer avec toi?
Pas de réponse. Son briquet s'éteint et dans le noir je sens qu'il me regarde.
J'ai dit une connerie? Pourquoi il répond pas?
VVVVVRRRRAAAAMMMMM fracas de lumière encore et je vois son visage inexpressif,
ses yeux fixes qu'il pose sur moi et me visse et me traverse et obscurité
la voiture s'éloigne en maugréant toujours. Ah, on dirait qu'il traverse une
petite phase d'éthylisme avancé, du genre de celle que je viens de quitter.
Je le regarde un moment dans les flash assourdissants des voitures, il apparaît,
disparaît, apparaît encore. Et il ne bouge pas. Il clignote passivement. Ca
m'énerve.
- Dis-donc tu sais que tu clignotes? Tu
pourrais être un peu moins amorphe quand ça t'arrive.
Toujours rien. Je le secoue un peu et le voilà qui se réveille enfin et son
regard s'acère dans le mien. Il me répond, la main en porte-voix pour couvrir
le vacarme des autos:
- On cherche ton portefeuille.
Déception. Moi qui m'attendais à ce que l'on traque l'abominable opossum des
neiges ou qu'on fasse une reconstitution de l'assassinat de Kennedy avec une
taupe dans le rôle du président, je suis assez désappointé. Tout ce qu'on
cherche, c'est un bête portefeuille...
Attends...
MON portefeuille??!!...
Je porte ma main à ma poche...La vache...J'ai perdu mon portefeuille...Je
suis à 400 bornes de chez moi, et dedans il y a tout, papiers, clés, thunes
et carte bleue. Tout d'un coup je ne m'amuse plus du tout et, plein d'appréhension,
je commence à farfouiller la terre de mes mains - je n'ai pas de briquet -
tandis que Fabien reprend ses recherches de son côté. Tout en explorant le
sol à tâtons, je réfléchis. Pourquoi aurais-je bien pût perdre mon portefeuille
ici? Fabien le savait peut-être mais je n'osais pas lui demander. Il va se
foutre de ma gueule. Je ne savais pas trop quoi faire, l'esprit encore embrumé,
quand il mit lui-même fin à mon
dilemme en me demandant:
- Tu es sûr que tu l'a perdu ici?
- J'en sais rien.
- Mais tout à l'heure tu m'as dit que tu avais sorti ton portefeuille ici.
- Si je te l'ai dit tout à l'heure, alors c'est qu'il doit être par là.
Face à son silence circonspect, il me semble bon d'ajouter : Fais confiance
à un mec bourré.
Ca n'a pas l'air de le convaincre :
- Mais pourquoi tu l'aurais sorti ici?
- Ca je me le demande bien.
Comme en réponse à ma question, ma paume entre soudainement en contact avec
un plastique souple et visqueux. Un préservatif usagé. Je retire prestement
ma main. OK, je sais maintenant ce que j'ai fait dans ce fossé cette nuit.
Reste à savoir avec qui. Je lance un regard soupçonneux à Fabien qui s'en
saisit et bien sûr, le prend mal :
- Si tu commences maintenant à t'imaginer que je suis un agent de la CIA,
on va jamais s'en sortir mon gars.
Il ajoute pourtant:
- J'ai retrouvé ton portefeuille.
Moi, soulagé:
- Tirons-nous d'ici avant qu'il nous retrouvent.
On sort de notre trou, et on commence à marcher. Je sens le contact rassurant
de mon portefeuille contre ma cuisse. On longe la route, Fabien à l'air de
savoir où on va. Autour de nous, il n'y a rien. Bienvenue à la campagne. Des
champs à perte de vue. En fait c'est le ciel qu'on voit, si étendu, qui découpe
la sombre masse de la Terre. Les étoiles brillent.
- C'est allumé là-haut. Il doivent bien s'amuser.
Fabien me regarde d'un air entendu.
- Je me souviens d'une rave sur Bételgeuse...
Je le coupe:
- Comment j'ai pu être assez défoncé pour aller baiser dans un fossé?
- Ca...Il me semblait bien t'avoir perdu à un moment. Silence. Tu te rends
compte que si une voiture était sorti de la route et vous avait fauché, tu
serais passé dans MAX à la rubrique des morts absurdes?
- La Gloire...
- Bah, dis-toi qu'au moins t'as mis une capote.
- C'est vrai. j'étais peut-être pas si plein que ça. Mais avec qui j'ai bien
pu baiser?
- Tu t'en souviens pas? Florence. Tu lui as roulé des pelles toute la soirée.
- Qui ça?
- Florence.
Devant mon air perplexe, il ajoute: - Ma cousine.
- Ce thon!!
Il explose de rire, plié en deux sur le bord de la route.
- Comment j'ai pu faire ça?
- Je crois qu'elle a drogué les verres à ton insu.
Je me tourne vers lui, le sourcil levé. Il est sérieux là?...Il a l'air...
- Ca fait trois jours qu'on fait que ça, se droguer.
- Polymyéthane.
- Quoi?
- PO-LY-MY-E-THA-NE
- Ca va, ça va. C'est quoi?
- Un truc qui te donne envie de niquer n'importe quoi. Mais il y a pire...
- Quoi donc?
- Dieu est mort.
- Bon débarras.
- Dis pas ça, Josef. Dieu était un type formidable.
- Un sacré boute-en-train!
(Note pour plus tard: Penser à enregistrer l'enterrement de Dieu)
- Dis-donc tu sais où on va là?
- Ben...on retourne au parking de la boîte. Là où je t'ai retrouvé en panique
parce que t'avais paumé ton larfeuille.
Ca me revient maintenant, la boîte...verre plein...les lumières...verre vide...la
musique...VERRE PLEIN VERRE VIDE...Fabien...PLEIN VIDE...un joint tourne...VERREPLEINVERREVIDE...la
cousine...VERREPLEINVIDEPLEINVERREVIDEPLEINPLEIN************§§£%%§/µ¨M%M/§£¤¤
Arrivé à ce niveau approximatif de compréhension et de maîtrise de l'environnement,
j'avais commencé à peloter sévèrement la cousine de Fabien, qu'il m'avait
présenté le jour même. On était dans un coin, dans l'ombre, et on se touchait.
Ca a commencé à devenir torride, et elle a dit qu'il fallait qu'on sorte.
Moi, personnellement, à ce moment de la soirée, ça m'aurait pas dérangé de
faire ça là où on était, mais bon, on est sortis et on a commencé à chercher
un endroit tranquille. En fait, dès la porte de la boîte franchie, je proposais
des endroits à droite à gauche qui me paraissaient convenable. Mais il fallait
aller plus loin. Toujours plus loin_
De sorte que vingt minutes plus tard, n'en pouvant plus, on a renoncé
à trouver l'endroit idéal pour descendre dans le fossé où, quelques minutes
après qu'on ait commencé - ou peut-être quelques heures allez savoir - il
s'était mis à pleuvoir...
- Dis-donc, je me rappelle t'avoir cherché pour te prendre les clés de ta
caisse. Je t'ai pas trouvé. Ca m'aurait épargné cet épisode peu glorieux.
- Mate un peu la taille des taupes dans ce champ.
- T'étais où?
- Ah non c'est le videur de la boîte.
- T'ETAIS OU??
Coup d'_il craintif:
- J'étais dans la salle karaoké.
- Qu'est ce que tu foutais là-haut?
- Boâh, une meuf qui voulait qu'on aille y faire un tour
- Et t'as chanté?
- Parlons d'autre chose tu veux bien.
- AH. J'hallucine. J'ai trop loupé ça. C'était quoi? Bruel? Sardou? les Musclés?
- Putain tu déconnes, mec.
- Bon tu l'a serrée la meuf?
- Même pas.
On arrive près de la voiture. Le jour se lève peu à peu. Je regarde Fabien
par-dessus le capot, il a l'air tout à fait éveillé à présent.
- On fait quoi, maintenant? je lui demande
Il ouvre sa portière, je fais de même, nous nous glissons à l'intérieur. Il
actionne le démarreur, se tourne vers moi et me lance avec un grand sourire:
- Je vais te présenter à ta belle-famille.
- Arrêtes tes conneries et roule.
- Il reste de la bière à l'arrière.
- Ben tu vois quand tu veux.
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