L'ennui
par Olivier Valette (voir aussi Une journée parisienne)
L'ennui
était sa drogue. Une drogue dure. Cette réflexion mûrissait
dans son esprit alors qu'il venait d'ouvrir les yeux et de se
souvenir qu'il était encore en vie. Il avait jadis entendu dire
que l'ennui était formateur et qu'il ne fallait donc pas l'éviter
à tout prix en cherchant absolument à faire quelque chose. Il
devait être une exception. Que lui avait apporté l'ennui sinon
la pleine conscience de sa situation misérable ? C'était un
raté sur toute la ligne. Il n'avait de toute sa vie jamais réussi
à être aimé ni même désiré par une femme. Il n'avait jamais
eu le courage de travailler. Jamais eu le courage de mener une
vie équilibrée. Jamais eu le courage...de faire quelque chose
pour que cela change. Il se prenait pour un rebelle alors qu'il
n'était qu'un fainéant, un bon à rien, une épave, un déchet,
un parasite. Il s'énervait tout le temps, ne supportant pas
la moindre remarque de la part de quiconque. Il vivait seul
dans une mansarde sous les toits. Il n'avait pas d'amis, pas
de famille, pas d'eau courante, pas de chauffage, pas d'électricité,
rien. Quand il lui viendrait à mourir, ses voisins mettraient
au moins un mois avant de se rendre compte qu'il ne faisait
plus partie de ce monde. En avait-il d'ailleurs un jour fait
partie ? Chaque matin, quand il se levait, il en avait déjà
marre. Il s'habillait machinalement, sans trop savoir pourquoi.
Il allait dans la même station de métro que d'habitude pour
faire la manche, après être passé à l'épicerie d'en bas de chez
lui pour s'acheter son litre de vin rouge matinal. Il le buvait
goulûment en attendant que quelqu'un vint lui donner la pièce.
Mais personne ne venait avant au moins midi. Les usagers qui
se rendaient au travail de bon matin n'étaient pas encore prêts
à affronter toutes les misères et les turpitudes que leur attendait
leur journée. Ils étaient encore dans un demi-sommeil. A la
fois conscients de la terrible énergie qu'ils devraient fournir
pour satisfaire les désirs insensés de leur supérieur qui les
virerait de toute façon bientôt, et en même temps déjà tellement
fatigués à l'avance qu'ils se trouvaient fort peu résistants
face aux infortunes qui se présentaient à eux de si bonne heure.
Quant à lui, il s'en foutait. Il était allongé contre le mur
de la station Bonne Nouvelle et regardait d'un air hagard tous
ces visages insignifiants qui comme lui, avaient oublié depuis
bien longtemps pourquoi ils continuaient de faire ce qu'ils
faisaient tous les jours.
Qu'allait-il faire aujourd'hui ? Rien. Que ne ferait-il pas
? Tout. Il n'avait au fond pas de question à se poser :il lui
fallait attendre, attendre et encore attendre. Puis se lever
pour rentrer chez lui le soir venu avant de retourner au même
endroit le lendemain matin. Sa vie était tellement limpide,
tellement prévisible, qu'il n'avait même pas besoin d'émettre
en lui la moindre réflexion car il s'en savait à l'avance incapable.
Il s'était habitué à cet ennui. Mieux, il était devenu la personnification
de son ennui. L'ennui était en lui et n'en ressortait que très
rarement. L'ennui était pour lui un mode de vie, une accoutumance
en plus de celle qu'il avait déjà pour la boisson. Pourquoi
donc chercher à s'occuper quand on a déjà une activité qui nous
occupe à plein temps et qui en plus, nous plaît plus que toute
autre ? Il ne ressentait aucune envie, aucun besoin. Il dormait
quand bon lui semblait, se lavait quand il voulait..plus rien
ne le concernait dorénavant.
C'est en cela qu'il était proche de tous ceux qu'il voyait partir
chaque matin pour leur lieu de travail : il vivait comme un
automate, consommait sans broncher ses drogues quotidiennes,
et ne faisait rien pour que cette vie ne change puisque cela
faisait maintenant trop longtemps qu'elle était ainsi faite
et qu'il lui était devenu impossible de se remettre en question.
Pour lui comme pour tant d'autres, plus rien ne l'obligeait
à rester en vie puisqu'il ne croyait plus en rien. Sa déchéance
consentie n'était donc qu'une facilité, un vulgaire conformisme,
mais certainement pas une quelconque forme de rébellion. L'ennui
ne lui servait pas à vivre mais à survivre, pas à accepter mais
à supporter, il devait s'y cantonner comme tous les autres au
risque de devoir se singulariser, mot que peu de personnes dans
le monde dont il faisait partie ne semblait encore connaître.
Noter ce texte :
anonyme
bon debut, fin classique qui se veut moralisatrice / philosophe... et donc qui n'est pas bonne.
Anonyme
l'ennui
du clochard est bien décrit,
Cependant le jugement est en trop, le psychisme d'une personne
ne peut se resumer à rien.