L'ennui

L'ennui était sa drogue. Une drogue dure. Cette réflexion mûrissait dans son esprit alors qu'il venait d'ouvrir les yeux et de se souvenir qu'il était encore en vie. Il avait jadis entendu dire que l'ennui était formateur et qu'il ne fallait donc pas l'éviter à tout prix en cherchant absolument à faire quelque chose. Il devait être une exception. Que lui avait apporté l'ennui sinon la pleine conscience de sa situation misérable ? C'était un raté sur toute la ligne. Il n'avait de toute sa vie jamais réussi à être aimé ni même désiré par une femme. Il n'avait jamais eu le courage de travailler. Jamais eu le courage de mener une vie équilibrée. Jamais eu le courage...de faire quelque chose pour que cela change. Il se prenait pour un rebelle alors qu'il n'était qu'un fainéant, un bon à rien, une épave, un déchet, un parasite. Il s'énervait tout le temps, ne supportant pas la moindre remarque de la part de quiconque. Il vivait seul dans une mansarde sous les toits. Il n'avait pas d'amis, pas de famille, pas d'eau courante, pas de chauffage, pas d'électricité, rien. Quand il lui viendrait à mourir, ses voisins mettraient au moins un mois avant de se rendre compte qu'il ne faisait plus partie de ce monde. En avait-il d'ailleurs un jour fait partie ? Chaque matin, quand il se levait, il en avait déjà marre. Il s'habillait machinalement, sans trop savoir pourquoi. Il allait dans la même station de métro que d'habitude pour faire la manche, après être passé à l'épicerie d'en bas de chez lui pour s'acheter son litre de vin rouge matinal. Il le buvait goulûment en attendant que quelqu'un vint lui donner la pièce. Mais personne ne venait avant au moins midi. Les usagers qui se rendaient au travail de bon matin n'étaient pas encore prêts à affronter toutes les misères et les turpitudes que leur attendait leur journée. Ils étaient encore dans un demi-sommeil. A la fois conscients de la terrible énergie qu'ils devraient fournir pour satisfaire les désirs insensés de leur supérieur qui les virerait de toute façon bientôt, et en même temps déjà tellement fatigués à l'avance qu'ils se trouvaient fort peu résistants face aux infortunes qui se présentaient à eux de si bonne heure.
Quant à lui, il s'en foutait. Il était allongé contre le mur de la station Bonne Nouvelle et regardait d'un air hagard tous ces visages insignifiants qui comme lui, avaient oublié depuis bien longtemps pourquoi ils continuaient de faire ce qu'ils faisaient tous les jours.
Qu'allait-il faire aujourd'hui ? Rien. Que ne ferait-il pas ? Tout. Il n'avait au fond pas de question à se poser :il lui fallait attendre, attendre et encore attendre. Puis se lever pour rentrer chez lui le soir venu avant de retourner au même endroit le lendemain matin. Sa vie était tellement limpide, tellement prévisible, qu'il n'avait même pas besoin d'émettre en lui la moindre réflexion car il s'en savait à l'avance incapable. Il s'était habitué à cet ennui. Mieux, il était devenu la personnification de son ennui. L'ennui était en lui et n'en ressortait que très rarement. L'ennui était pour lui un mode de vie, une accoutumance en plus de celle qu'il avait déjà pour la boisson. Pourquoi donc chercher à s'occuper quand on a déjà une activité qui nous occupe à plein temps et qui en plus, nous plaît plus que toute autre ? Il ne ressentait aucune envie, aucun besoin. Il dormait quand bon lui semblait, se lavait quand il voulait..plus rien ne le concernait dorénavant.

C'est en cela qu'il était proche de tous ceux qu'il voyait partir chaque matin pour leur lieu de travail : il vivait comme un automate, consommait sans broncher ses drogues quotidiennes, et ne faisait rien pour que cette vie ne change puisque cela faisait maintenant trop longtemps qu'elle était ainsi faite et qu'il lui était devenu impossible de se remettre en question. Pour lui comme pour tant d'autres, plus rien ne l'obligeait à rester en vie puisqu'il ne croyait plus en rien. Sa déchéance consentie n'était donc qu'une facilité, un vulgaire conformisme, mais certainement pas une quelconque forme de rébellion. L'ennui ne lui servait pas à vivre mais à survivre, pas à accepter mais à supporter, il devait s'y cantonner comme tous les autres au risque de devoir se singulariser, mot que peu de personnes dans le monde dont il faisait partie ne semblait encore connaître.


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anonyme

bon debut, fin classique qui se veut moralisatrice / philosophe... et donc qui n'est pas bonne.


Anonyme

l'ennui du clochard est bien décrit,
Cependant le jugement est en trop, le psychisme d'une personne ne peut se resumer à rien.