L'optimisme d'un vieil écrivain
Une critique du roman Le Saule.
Mis à jour le mardi 31 août 1999
Il était une fois un jeune garçon noir, Bobby, qui trouvait auprès d'un vieux monsieur, Moishe, plein de sagesse et d'expérience, un père et un maître. Plutôt un Maître. Quelqu'un qui n'a pas toutes les réponses mais qui sait panser plaies et bosses et qui sait aussi qu'une bonne glace au chocolat peut faire office de consolation. Quelqu'un qui sait encore que les mères aiment leurs enfants même si elles ne le montrent pas. Quelqu'un qui a foi dans le pardon - qui n'est pas l'oubli. Quelqu'un qui croit coûte que coûte à la tendresse, à l'amitié, au bonheur. A la vie. Quelqu'un qui a pu surmonter l'injustice, la souffrance et la haine grâce à l'intervention d'un saint ou d'un ange. Comme le Clarence du film de Frank Capra, La vie est belle. Mais Selby, bien sûr, n'est pas Capra et Le Saule n'est pas un conte de fées. Si l'on s'étonne d'y trouver un sentimentalisme indéniable, que l'on se reporte à certains chapitres de Last Exit to Brooklyn, où figurait déjà cette quête d'amour, de pureté, de rédemption implacablement bousillée par le désespoir. Le sexe a disparu du Saule mais la violence persiste. Parce que la violence reste le Mal, la Bête, le poison. Et que l'on n'y échappe pas si on ne la contrôle pas, si l'on cède à ses instincts et si la vengeance devient une règle de vie.
CRISES D'ASTHME STYLISTIQUESelby n'est pas facile à lire, ceux qui l'ont lu le savaient déjà, la langue est plate, les phrases s'étirent ou s'entrechoquent, les répétitions abondent. Il met en page les ruptures avec des crises d'asthme stylistique - et le traducteur Francis Kerline a implacablement restitué cette âpreté haletante et cette emphase de prêcheur illuminé - on peut s'ennuyer, s'agacer ou s'y casser les dents, on peut trouver extravagant l'optimisme d'un vieil écrivain qui a survécu à sa propre vie, n'empêche, il reste du Selby chez Selby. Martine Silber
Le Monde daté du mercredi 1er septembre 1999