Quebec Express (1ère partie)

Du sang! Oui, ce n'était pas qu'une impression. Où en suis-je? J'en suis à me lever la nuit à me regarder dans le miroir, espérant y voir autre chose que moi-même. Voir ce que je ne suis pas, ce que j'aurais pu être.  Un autre, qui aurait vécu autre chose, penser autrement. C'est affreux cette image dans le miroir, du sang qui sort de mon nez qui coule sur ma joue et glisse sur mon cou, mes épaules et mon ventre. Cochonnerie de morphine! C'est triste à crever. D'ailleurs, pourquoi ne pas crever, en finir, arrêter là tout de suite. Pourquoi continuer? Me détester plus et encore plus à chaque nouveau réveil. J'ai peur! Je vais le faire! Me tuer, en finir, ne plus jamais me voir. De toute façon, il n'y a plus rien, du vide. Du vide à remplir par le vingt-six onces de rhum à chaque début de journée. Et si au moins j'avais des journées! Quelque chose d'autre que de me geler dès le réveil, que de chercher où j'ai mis mon hash, mon pot et cette cochonnerie de morphine. Dans quelques heures après m'être enfin geler d'aplomb, marcher vers Yvonne qu'ils ont encore laissé dans sa pisse, dans sa marde. J'en arrive à aimer mieux quand tu ne me reconnais pas, quand tu ne te rends pas compte que c'est moi ton fils qui te déshabille, qui t'aide à faire ta toilette. Criss de système de cons!  Pauvre Yvonne! Tant de misère pour une si petite existence. Mais elle est morte! Elle est morte! Et moi ton fils, je n'ai été qu'un lâche. J'ai été incapable d'aller te tenir la main alors que tu t'en allais pour toujours. Qu'ai-je fait! J'ai préféré partir dormir à la campagne avec mes amis plutôt que d'être avec toi! Je suis vraiment rien. Pourquoi as-tu pris sur toi toutes les misères du monde pour sombrer dans ta folie? Que s'est-il passé pour que de nouveau tu ne saches plus rien de toi? Que m'arrive-t-il à moi? Moi je suis malade aussi mais je l'ai cherché cette maladie du désespoir, j'ai collaboré à la mettre en place. Personne n'en est responsable que moi-même. Je suis ce que je vois dans le miroir, une image de rien. Le gun! Où est ce gun? Qu'en ai-je fait? Un rien! Je suis tellement rien que je n'arrive pas à me souvenir où je l'ai caché. Et ce sang qui n'en finit pas de dégouliner sur moi et partout! Où te caches-tu? Où l'ai-je mis? Tabarnac! Où tu te caches? Me calmer peut-être, essayer de me concentrer. Voyons, ça tourne! M'accrocher, me retenir avant de basculer. Oui c'est ça, tu l'as mis dans sa sacoche en serpent, en bas dans le garde-robe en miroir. J'en suis certain. Faut qu'il soit là, oui c'est là. M'y rendre, c'est pas loin, quelques pas et le prendre. Me mettre une balle dans la tête et tout sera terminé. Je ne peux pas, ça tourne trop. Laisse-toi aller, tu vas y arriver, à quatre pattes, laisse toi descendre doucement. C'est ça, tes genoux y sont, les mains maintenant.doucement. Tu prends à gauche, tu te tiens le long du mur, il est là, il te supporte. Tu vas y arriver, arrête de chialer, vas-y, je suis certain que tu l'as mis là. Ta mémoire s'en souvient. Vas-y! Avance! En bas à gauche, au fond, elle est là. Ouvrir la porte, étirer le bras et la sortir de là. Elle est lourde, tu vois. Il est à l'intérieur. Il était là au cas où! C'est le moment, prends-le. Qu'est-ce que t'as à me regarder toé! Il est dans ma main, deux balles. de toute façon. T'es tellement laid, surtout quand tu chiales. Dans la bouche. oui c'est la meilleure façon, comme ça si je me manque je n'aurai plus conscience de rien. C'est froid.Pourquoi, pourquoi? Moi aussi je serai froid. appuis! Une seconde et plus rien. Non pas encore. pas tout de suite. me regarder un peu. me supplier moi-même. me haïr encore un peu. Pourquoi en être là? Le sang ne coule plus, il s'est arrêté, c'est laid ce que je suis devenu. J'aurais pu être quelque chose. je n'ai pas su et je chiale comme un bébé. Un rien qui regarde quelque chose dans un miroir n'est-ce pas absurde. Le doigt sur la gâchette, ne pas l'enlever. au cas. Au cas où je serais encore lâche, je n'ai pas peur. Comment un rien pourrait-il avoir peur de quelque chose? Y a pas de raison! Maudite morphine! Non pas encore. pas tout de suite, le soleil se lève. Me traîner jusqu'à la fenêtre, pousser un peu le store, regarder dehors. Le mettre par terre, le déposer, m'en séparer quelques instants. non, je l'amène avec moi au cas où je deviendrait encore lâche. Il doit servir, sinon pourquoi l'avoir acheté! Servir pour moi et non contre les autres. De toute façon, si ce n'est pas moi c'en sera un autre qui le fera à ma place. La sensation est différente quand c'est soi qui tient l'arme pour qu'elle serve sur soi. La main étrangère qui la tenait pendant que Diane pleurait parce qu'elle était certaine qu'ils allaient nous tuer tous les deux avant de partir avec leur butin. Le froid n'est pas le même sur ma tête, je suais, j'avais peur, je n'avais pas choisi que ça arrive, je m'étais juste mis dans la situation pour que ça m'arrive. Diane, elle, elle n'avait pas choisi non plus, c'était de ma faute. même si j'étais gelé, c'était de ma faute! J'étais inconscient! Je ne sais pas pourquoi, mais j'étais certain que l'on ne nous tuerait pas même si j'étais terrifié. Le soleil. Josée! Comme tu pouvais être inconsciente, quand ils sont entrés et que tu t'es mise à rire, ils auraient pu nous tirer, juste par nervosité. Quand ils ont dit de regarder ailleurs sinon ils nous tireraient dessus, j'ai du te forcer à te coucher par terre et toi tu riais. Comme j'aimais être avec toi. si douce et si fragile. Qu'es-tu devenu? L'esti de con, il t'a fait du mal. je l'avais averti. Je suis là à chialer et je ne sais plus. Je n'aurais jamais du lui donner ton numéro de téléphone. Tu vois, en plus je suis une pute, quelques joints et je le lui ai donné. J'ai échangé notre amitié contre des joints! Je savais que tu étais trop fragile pour lui mais je lui ai donné quand même. Me laver. une douche, enlever toute cette saleté, essayer au moins. Le soleil. il fait beau. ranger ce gun. une douche puis marcher. Mais avant jeter la poudre dans la toilette. oui, la jeter, m'en débarrasser. Je dois me relever, marcher jusqu'au frigidaire et la jeter, oui il faut que je le fasse. y a pas d'autre solution. Sinon. ça va recommencer. demain, un autre jour. Je peux le faire. je vais y arriver, d'abord me relever et avancer jusqu'à la cuisine, le mur va m'aider. Le gun! Il va attendre, je le rangerai tantôt. Ne pas hésiter, prendre le sac et le vider, surtout ne pas y penser. c'est la meilleure chose à faire. Même pas le regarder, juste le prendre et le vider dans la toilette. faut que je le fasse. Ensuite. me laver et aller marcher.







Ça fait mal, mais qu'est que j'ai bien pu faire? Encore saoulé à profusion, ça, aucun doute. Mais comment suis-je revenu? La tête qui s'éclate mine de me faire souffrir encore plus. Ça fait vraiment mal! Maudite marde qu'est-ce que j'ai fait. Le bar, oui, Diane qui refuse de me donner une autre bouteille, oui, fouiller dans mes poches, mettre l'argent sur le comptoir, elle refuse toujours, je suis trop saoul et trop gelé. Je me suis levé, oui ça je me souviens, les gens me regardaient, pas une fille à cruiser, d'ailleurs j'étais trop parti. Oui, elle, il y en a une qui m'a aidé. Elle m'a amené aux toilettes, oui mais. non, elle n'est pas restée, elle m'a simplement soutenu jusqu'aux urinoirs avant de repartir, retourner danser. Je la connais!.. pas certain, elle me connais!. peut-être, je ne lui vois pas le visage. Mais quand même, elle était là, elle m'a aidé, ensuite. plus rien, le vide. Il n'y a que ma jambe qui me fait mal à matin. Marcher! Probablement, j'ai du marcher, Diane a du m'offrir de me reconduire, j'ai dit que je devais marcher, elle a sûrement hésiter, j'ai du insister, elle devait rire, pas de moi, elle est trop bonne pour ça. Elle a du encore une fois hésiter avant de me lâcher puis j'ai du lui dire que j'allais probablement vomir dans sa voiture, faut croire qu'elle m'a cru. Maudit qu'elle a de belles jambes cette femme! Je comprends que tous les gars veulent la monter. Pourquoi refuse-t-elle avec moi? L'autre soir, chez elle, on était bien, on écoutait un show à la télé puis un verre quelques joints, ma main sur ses fesses, ah, quel efforts pour moi que d'oser après tant d'années. N'empêche qu'elle ne s'en est pas offusquée, elle est gentille mais le problème c'est qu'elle m'aime bien. Des fois c'est malheureux que les femmes nous aime bien. On préférerait être celui de passage avec qui on accepte, mais que veux-tu, des fois c'est pas possible. Un jour peut-être. Me lever, du café, un joint. Ah, ça fait mal. Qu'est-ce que j'ai fait? Je suis tombé non ça doit être autre chose. Tomber parce que j'étais saoul, c'est possible mais au point d'avoir la jambe enflée et de ne pas pouvoir la déplier, ni s'appuyer dessus, j'ai du me faire frapper et engueuler le gars ou la fille. Possible c'est un gros bleu que j'ai là. Tabarnak que ça fait mal. Je ne suis pas capable de marcher. Qu'est-ce que je vais faire? L'hôpital, non pas question, j'y vais déjà tous les jours. De toute façon il n'y a rien de cassé, ça fait mal mais avec effort j'arrive à la plier un peu, ça va passer. Qui est-ce qui était là hier soir? Faut me souvenir! Comment je me suis fait cela? La table, m'asseoir, d'abord rouler un joint pendant que l'eau bouille, ensuite on verra. Quelle heure est-il? Une heure trente, Diane doit être réveillée. Ah non, d'abord fumer quelque chose, ensuite oui, ensuite je vais l'appeler. Non, ça donne rien, si elle a voulu me raccompagner et que je lui ai dit non, elle ne saura pas ce que j'ai fait. Entendre sa voix. Elle est belle sa voix, y a pas que ses fesses qui sont belles. Non, puis y a peut-être Matéo qui va venir, c'est l'heure. Je roule, il doit sentir ça! Criss de Matéo! Il n'est pas venu hier soir, du moins, je ne pense pas. J'ai mal à la tête avec ça. Bientôt repartir, comment je vais marcher pour me rendre là-bas? Ça bouille. Le café maintenant, un filtre, bon le vla! 

 -Rentre! Ah oui c'est vrai, c'est barré. Attends! Ça fait mal maudit. Envoye, rentre.

 -Qu'est-ce que tu as? Tu t'es cassé la gueule!

 -Ça doit être ça, je n'en ai aucune idée. Tout ce que je sais c'est que ça me fait mal et que je boite. Tiens fume ça. Tu veux un café?

 -Oui, oui.

Bon maintenant, le vla qui rit de moé. Mais c'est Matéo et Matéo c'est Matéo. Il aime bien rire des malheurs des autres. Au fait qu'est-il devenu, il y a tant d'années. Mauvaise chicane pour pas grand chose, une expression de trop et puis hop tant d'années de grande amitié et puis s'en vont. Au nom de quoi? L'absurdité peut-être, le refus d'admettre, l'orgueil probablement. Tu me manques vieux brouillon, toujours à rire de tout et à tout prendre avec philosophie. Qu'es-tu devenu? Un jour peut-être. moi je n'ai pas déménagé, ancré dans je ne sais plus quoi, mon navire s'est échoué. Mais toi l'Ami parmi tous, ton navire s'est-il échoué quelque part, ou bien navigues-tu toujours à la recherche d'on ne sait plus? Tu vois, je suis parti pour me sauver, non pour me détacher mais me sauver impliquait peut-être un détachement dans notre si belle amitié. ' Les pique-assiettes' que Diane nous surnommait dans le fond nous étions un peu cela, à toujours arriver avant le souper. À croire que les odeurs des soupers mijotants chez les amis nous faisait sélectionner notre point de chute. T'étais vraiment la seule personne au monde à pouvoir se promener en ville avec ta chèvre dans ton vieux Rambler. Plus sauté c'était impossible, même moi dans mes plus débiles moments  de joyeuse folie j'aurais été incapable de me promener en ville avec ça dans ma voiture. Par contre je t'ai battu dans la débilité, toucher à la morphine jamais tu n'aurais osé! Pas par crainte mais par conscience, mais moi la conscience, tu sais. Il n'y avait que la folie, le sans limite qui comptait. Drop out! Oui et sans limites, rien d'inacceptable et tout à faire, à voir, à connaître, à dire, à vivre et à essayer. Hash! Pot! Mescaline!  Comme les vendeurs de rue sur St Denis. Oui mais encore plus, tout essayer, tout ce qui se présentait, champignons magiques, opium, acide, White, Tangerine directement fourni par les laboratoires d'étude du rapport Ledain, buvards aux couleurs multiples, Purple, et la cocaïne cette drogue de gosse de riche dont je n'ai jamais compris pourquoi ils s'entêtaient à en consommer, tellement je trouvais cette drogue insignifiante et sans effet.  Pourquoi tout essayer? Je ne l'ai jamais vraiment su, mais ce qui comptait c'était d'essayer. Savoir ce que ça faisait, je pense que c'est cela qui comptait, le désir de savoir, consommer sans craintes et sans restrictions pour savoir. Mais toi, tu savais que j'étais fou, fou d'absolu. Puis l'alcool, mes trois Beefeater, ma rage de rhum, précédée d'une rage de calvados, du champagne pour célébrer et essayer de convaincre Carole de m'amener dans son lit, oui mais là c'était l'oubli surtout, m'oublier moi-même dans l'espoir parfois que je ne me retrouve pas. Le pouvoir de l'oubli, c'est atteindre l'absolu, tout ce qui est inaccessible et interdit. Ou peut-être était-ce tout simplement la recherche du même niveau d'oubli où se trouvait Yvonne! Avec le recul, je ne sais plus. Peut-être était-ce trop difficile pour moi que de chaque après-midi, me rendre à cet hôpital, trop dur de la voir ainsi perdue, à me considérer comme un étranger lorsqu'elle était absente, trop dur de la voir pleurer lorsqu'elle était consciente de ce qui lui arrivait, peut-être que tout simplement j'essaie de donner des raisons à des gestes irrationnels posés sans y penser. Cependant je crois que le besoin d'oubli y était pour quelque chose, il serait difficile de le nier. Mais cette jambe me fait mal et je dois m'y rendre. Un peu de morphine, une petite dose dans les narines et je serai prêt.

 -Tu ne manges pas?

 -Non, je mangerai après, je vais plutôt prendre une bière. T'en veux une?

 -Ah non, pas tout de suite, y'est ben trop tôt. T'as rien à manger?

 -Fouille, y'a sûrement quelque chose.

Tu regardais, sans dire rien, bouffant ta toast avec du beurre de peanut, moi je pensais, j'étais ailleurs avec ma bière bien en main, cherchant à savoir ce qui m'attendait. J'étais fatigué mais que faire, qu'allait-il se passer si je n'y allais pas? Il me fallait y aller, lui parler, la regarder, essayer de la faire sourire, faire semblant de m'intéresser à ses cauchemars qui revenaient sans cesse. Toujours les mêmes, les sirènes, la police qui venait la chercher pour l'amener, je devais la protéger de je ne sais quoi, de quelques chimères imperturbables et constantes dans leur présence. De quoi se sentait-elle coupable? De quelle partie d'elle-même provenait ce besoin d'être coupable? Jamais je n'ai trouvé. Déjà longtemps avant, dans la nuit, des cris, des pleurs, j'étais enfant, elle criait, elle pleurait. Ma sour qui dormait avec elle parce que déjà la dépression l'avait prise, m'avait crié d'aller chez la voisine chercher de l'aide. Ma mère, les mains crispées, qui pleurait, moi enfant, mon autre sour qui arrivait déjà en pleurs. Vite courir, sortir dehors, la neige, en pyjama, pas le temps, pieds nus, faut faire quelque chose. La neige est là, mes pieds ne sentent rien, ils ont autre chose à faire que de se préoccuper d'eux-mêmes, ma mère souffre, elle le sait, son cour flanche, vite, ma sour lui avait donné ses pilules de nitro, moi j'enjambait la clôture dans la neige jusqu'aux cuisses, je frappe, je cogne avec les pieds, je crie' Sauve ma mère, sauve ma mère', réponds madame Leblanc, faut sauver ma mère, elle arrive enfin, elle ne sait pas ce qui se passe, elle me regarde, crie à son mari de venir, j'explique, faut une ambulance, un médecin, ma mère va mourir. Elle prends le téléphone, ma mère est dans l'autre maison, son mari vient me voir, il essaie de comprendre, je pleure, j'ai peur, faut la sauver, 's'il vous plaît'. Il apporte une couverture et me la met sur les épaules, je continue à pleurer, je sais qu'elle souffre, qu'elle a peur de mourir, je ne veux pas qu'elle meure. Le premier médecin ne répond pas, son mari lui dit d'appeler le docteur Dargis, il doit être là, il faut qu'il soit là. Monsieur Leblanc ouvre la porte, me sourit et il part, il fait ce que j'ai fait, il traverse la clôture, il doit savoir ce qui se passe. Le docteur Dargis ne répond pas lui non plus, il est parti, personne pour nous aider. 'Fais quelque chose, ma mère va mourir!'

 -Je vais appeler une ambulance, ne t'en fais pas.

Dans ses yeux, je sais qu'il faut que je m'en fasse, elle connaît bien Yvonne, elle sait que son cour est fragile, c'est son quatrième infarctus. À l'ambulance, on répond, ils vont arriver. Elle me rassure, je continue à pleurer. Je sais que c'est grave. Mais je suis là je ne la vois pas, mais je sais qu'elle continue à souffrir, qu'elle a peur, qu'elle regarde mes sours dans son lit et qu'elle a peur pour nous, pas pour elle. Elle reprend l'appareil, elle demande la police, elle explique pour les médecins, elle demande de l'aide. Celui qui lui répond nous connaît, il la connaît, elle explique qu'il faut trouver un médecin c'est urgent, son mari revient, chuchote à son oreille, elle dit à la police que ça presse. J'ai compris, ça va encore plus mal, ma peur redouble, je tremble, je commence à ressentir le froid à travers mon pyjama mouillé. Je me désespère, elle s'approche de moi, me prend  dans ses bras, me confie à son mari elle veut aller voir son amie, l'aider. Nous sortons, moi dans ses bras, il me tient fort. Dans la cour arrière, l'ambulance arrive, les lumières rouges qui tournent et les bruits de sirène le confirme, ils arrivent, ils vont sauver ma mère, j'ai peur. Je les regarde et je leur dit qu'elle est dans sa chambre. Ils sont là, nous sommes à part, nous ses enfants, on nous dit de sortir, nous ne voulons pas. Monsieur Leblanc nous entraîne dans la cuisine, je vois par la fenêtre d'autres lumières rouges qui arrivent, c'est une auto de police, ils s'arrêtent dans la ruelle, ils sortent de leur auto, ils se dépêchent, ils entrent sans frapper, je les regarde, l'un d'eux nous sourit, il va vers les ambulanciers, j'entends ' aucun médecin n'est chez lui', l'ambulancier dit qu'il faut l'amener à l'hôpital au plus vite. Ils l'installent sur une civière, elle nous regarde, elle pleure, elle ne semble plus avoir mal mais nous savons qu'elle souffre. Nous restons là, nous les regardons partir, les ambulanciers ne nous parlent pas, un des policiers qui me connaît me dit qu'il va ouvrir le chemin à l'ambulance, jusqu'à Val d'Or. Ils partent, ils ont installé ma mère dans l'ambulance, les sirènes se remettent à hurler et leurs lumières rouges s'éloignent, madame Leblanc essaie de nous rassurer, nous pleurons. Elle dit qu'elle va aller chez elle pour appeler notre frère mais qu'elle va revenir. Elle part avec son mari, nous sommes seuls, chacun dans son coin nous pleurons, nous avons peur. Plus tard, elle revient, elle a apporté des biscuits et des petits gâteaux qu'elle avait fait la veille. Elle a rejoint le plus vieux qui est parti lui aussi pour l'hôpital, elle nous dit qu'elle va rester avec nous jusqu'à ce qu'il arrive. La nuit est là, je grelotte malgré que je sois couché entre mes deux soeurs, je ne peux m'endormir et je sais que c'est la même chose pour elles. Quand notre frère arrive, il fait jour, il est fatigué, les yeux rougis par la peine et la fatigue, il nous rassure, ils prennent soin d'elle. C'est là qu'il nous dit qu'une autre de nos sours va venir de Montréal pour s'occuper de nous, nous avons compris que c'était grave, qu'ils la garderaient longtemps. Un mois plus tard, je me retrouvais à ville St Michel, dans la sloche parmi les italiens qui me couraient après et me tapaient dessus parce que je ne parlais ni anglais ni italien, la plus vieille des filles m'avait pris en charge, alors que mes deux autres sours se retrouvaient, l'une chez le plus vieux à Malartic, l'autre chez notre autre frère à Chapais, nous venions d'être séparé pour trois longues années alors que notre mère se retrouvait seule dans un immense dortoir de St Michel Archange à Québec. Parc à bestiaux, je ne pense pas qu'il puisse y avoir un autre terme mieux approprié pour cet endroit. Asile de fous, mais oui, elle y était, mais dans ce genre d'endroit, si on n'est pas fou à l'entrée, à la sortie on est soit fou soit mort, aucune autre possibilité. Je fus marqué récemment par la description faite par Simone de Beauvoir dans le deuxième tome de ses mémoires concernant une visite qu'elle et Sartre avait fait d'un asile aux environs de l'année 1935 dans la France profonde, j'y ai trouvé d'énormes ressemblances des lieux et de la façon dont les gens y étaient traités, trente ans plus tard, de l'autre côté de l'Atlantique, la folie et ses sujets semblaient toujours avoir la même considération. Je me souviens de ma première visite, quand ma mère m'avait entraîné avec elle dans son dortoir, une salle immense, des lits installés les uns à côté des autres comme s'il eut s'agit d'une cafétéria où on aurait remplacé les tables et les chaises par des lits de fer avec tout à côté, un espèce de petit bureau métallique qui servait à la fois de bureau et de table de chevet. J'avais aussi été marqué par la blancheur de tout cela, les lits étaient peinturés blancs, le petit bureau était du même blanc, les murs et plafonds étaient aussi du même blanc jauni. Aucune intimité, tous ensemble dans leurs désordres et leurs peurs soumis à l'indifférence générale. Elle n'en sortit que plus d'un an après y être entrée.   







Marcher quand ça fait mal mais qu'importe, il faut bien que j'y aille, elle m'attend même si elle ne le sait pas, peut-être! Ma jambe ce n'est pas grave, d'ici quelques jours, elle se sera replacée. La douleur s'en sera allé mais elle, sa douleur est si profonde et inaccessible, invisible tout en étant perceptible, elle s'est installée au fond d'elle, très loin pour être inatteignable. Elle est évidente sa douleur, elle se voit sur son visage, dans son regard, dans sa démarche incertaine encore alourdie par ses pilules qu'on s'amuse à lui faire gober afin qu'elle reste calme et contrôlable. Pire encore dans ses moments de lucidité, elle te regarde dans sa souffrance consciente, des yeux, elle implore à comprendre ce qui lui arrive, elle souffre quand elle sait qu'elle vient de faire dans son froc et que je suis là, moi son fils à ses côtés. J'ai beau lui dire que ce n'est pas grave, elle sait que ce l'est, j'ai beau rester calme et lui parler avec douceur, elle souffre de se voir ainsi en face de moi, son fils. J'ai beau lui dire qu'elle a si souvent fait les mêmes gestes pour moi et que c'est normal que je fasse la même chose pour elle, cela ne lui enlève pas ses souffrances, elle se sent humiliée. J'ai beau lui répéter qu'elle a si souvent ramasser mes vomissures sans dire un mot, que c'est normal que je fasse la même chose pour elle, mes mots ne la rassurent pas mais ils la confirment plutôt dans son état. Que faire alors? Que dire? Elle souffre et je souffre de sa souffrance mais moi c'est pas pareil, j'observe, je suis extérieur à son esprit. Quand je sortirai d'ici dans une heure ou deux et que je retrouverai mes bouteilles, mes joints, mes pilules à moi, elle restera ici prisonnière de sa chambre capitonnée pour qu'elle ne se blesse pas. Ma souffrance d'elle sera disparue parce que atténuée de sa non-présence. Je serai libre avec ma propre folie, je marcherai dans les rues de la ville sans possibilité de m'y perdre. Je la prends par la main, je regarde l'infirmière indifférente à ce qui lui arrive à elle, ma mère qui est tout pour moi, qui est l'être le plus courageux que je connaisse, elle est redevenue enfant, un peu mon enfant. Et elle souffre de cela. J'ai beau me dire qu'elle ne devrait pas, que c'est normal que je m'occupe d'elle mais elle continue à souffrir. Par la main, je la conduis jusqu'à sa chambre, je cherche des yeux où est l'endroit où peuvent être rangé ses choses, je lui dit de rester là à côté du lit métallique, que je vais m'occuper d'elle. Pendant qu'elle pleure, incapable d'être autrement, je me penche, je passe mes bras sous sa jaquette à la recherche du rebord des sa culotte, je glisse mes doigts et lentement je la descend pendant qu'elle continue à pleurer. Je ne dis plus rien, je ne sais plus quoi dire, j'agis car il faut que j'agisse. Je lui retire sa culotte et lui dit de ne pas s'en aller, où pourrait-elle aller? Je sors, demande à l'infirmière hébétée ou je peux avoir une débarbouillette, je la dérange, elle lit. Sans me regarder, elle me demande pourquoi. POURQUOI? Ma mère a pisser dans ses culottes criss! Réveille-toi! Je ne la laisserai pas ainsi, faut bien que je la lave, maudit tabarnak! Je sais que je te dérange mais contente-toé de me dire où elle sont, c'est pas grand chose! L'air indifférente, elle me répond qu'il y en a dans l'armoire derrière elle. Je passe derrière elle, j'aimerais la frapper, c'est de ma mère dont il s'agit, c'est pour cela que je me retiens. Si j'en fais trop, que vont-ils lui faire quand je ne serai plus là. Je fouille et je repars aussitôt. Elle n'a pas bougé, elle est restée immobile, je lui souris sans rien dire, je me penche et je lui lave les jambes, les cuisses, je remonte sur ses fesses, sur son sexe, je suis mal à l'aise, elle ne pleure plus, elle ne sait plus ce qui lui arrive. Je me relève, je cherche sur le lit la petite culotte que j'y avais déposé, je la regarde de nouveau, elle est absente, elle ne sait plus rien d'elle même ni de tout ce qui existe. Je risque quelques paroles, je m'adresse à elle comme aujourd'hui je m'adresse à ma fille qui a sept ans, je me penche de nouveau et je lui met une nouvelle culotte. J'essaie de la faire sourire, l'absence a même amenée avec elle ce petit plaisir, ses yeux sont livides. Elle me regarde, dans ses yeux je peux voir qu'elle cherche à comprendre qui je suis. J'aime mieux cela, elle n'a pas peur et elle souffre moins. Du moins ses absences lui masquent sa souffrance, moi je souffre toujours, je sais que bientôt malgré que je sois gelé autant qu'elle des larmes vont jaillir, je dois faire des efforts pour ne pas pleurer. Malgré cela des larmes apparaissent, elle me regarde avec interrogation, elle cherche. Je la prends par la main et je la ramène dans la salle où sont les autres abandonnés, je l'installe dans une berçante, elle commence à chanter en regardant le mur en face, je n'existe plus. Je vais chercher une chaise droite et je m'assied en face d'elle, je prends sa main vieillie dans la mienne. Mon pouce en caresse le dos, je la regarde, cherchant à comprendre toutes ses misères qui l'ont ainsi transformé en une inconnue. Elle ne sait plus rien de moi, je suis un inconnu qui s'est égaré sur son chemin et qui se repose un peu sur la chaise en face d'elle. Puis sans raison, elle arrête sa chanson qui provient sûrement de sa propre enfance, ses paroles ne me touchent pas, elles me sont inconnues. Elle se met à me raconter comment elle a donné deux bons coups de poings à un infirmier la veille, du moins dans sa tête ce souvenir était d'hier. Je ne sais pas, je ne peux savoir, je ne peux que la féliciter de son geste, il devait le mériter. J'essaie de savoir pourquoi elle a fait cela, elle me raconte qu'il voulait l'attacher à son lit. C'est atroce! Je sais qu'ils l'attachent à son lit la nuit, elle a tendance à se lever et à tomber. Normal, à la manière dont ils la traitent, à essayer de la geler le plus possible, la zombifier le plus possible pour qu'elle ne dérange pas. À force d'être gelé à ne plus rien ressentir, on en arrive à ne plus sentir ses jambes sous soi, à ne plus savoir où sont le plancher, les murs, les portes. Voilà comment on la traitait! Comme un être dérangeant, voir un animal,  non un être humain! Criss de système de déments! Elle avait besoin de soins, ils en ont fait une démente. Moi j'étais là, incapable de faire quoi que ce soit d'autre que de lui tenir la main et d'écouter ses histoires. L'infirmière s'était levée, on venait d'apporter les collations. Sans dire un mot, elle se mit à distribuer les plats comme je distribuais la nourriture à mes poules, extérieur à tout. Était-ce une carapace qu'elle s'était construite, ou tout simplement un détachement total de tout ce qui se déroulait autour d'elle, une armure contre l'absence de toute forme d'humanité parmi les animaux qu'on confiait à sa surveillance. J'ai bien dit surveillance car dans ces lieux, on ne peut vraiment pas parler de soins, il ne s'agit plutôt que d'engourdissements d'anciens humains, une garde à vue. Leur humanité n'est que hors de ces murs, elle est derrière, abandonnée, oubliée quelque part par je ne sais quel tour de passe-passe, ou tout simplement elle leur a été enlevée. Je sais que certains d'entre eux la retrouveront si un jour ils sortent d'ici sur leurs pieds. Je suis là à l'écouter me répéter encore et encore comment elle l'a frappé, peut-être qu'elle me répète cela parce que je l'écoute et que cela me fait rire. Mes rires lui apportent-ils un certain niveau de conscience ou bien est-ce l'oubli de me l'avoir dit deux minutes auparavant, ou bien est-ce tout simplement que mes rires la réconfortent de la dépression extrême de ces lieux? Une distraction, un visage qui projette autre chose, une expression différente de tout ce qu'elle voit dans ces lieux. Elle regarde indifférente le jello rouge qui repose sur la table à côté de moi, l'air de ne pas comprendre pourquoi cet objet s'est retrouvé à cet endroit alors qu'il n'y était pas quelques instants avant. Je lui demande si elle en veut, elle ne réagit pas, je le prends et j'y enfonce la cuiller qui est venu avec. Son regard change, elle semble comprendre ce que c'est. Je prends le contenu de la cuillère et je l'avance vers sa bouche, elle l'ouvre et délicatement j'y introduit le contenu. Ses yeux s'illuminent par le goût sucré qui se dégage dans sa bouche. Elle est contente, elle me fait comprendre qu'elle en veut encore. Je lui en redonne tout en lui parlant doucement, dire quelque chose, en profiter pendant que j'ai son attention, lui rappeler certains souvenirs. Je sais que je n'existe qu'en fonction du goût sucré que je porte à sa bouche, mais ce n'est pas grave, je lui parle, j'ai son attention. Du liquide rouge coule le long de son menton, je me lève, elle pense que je me sauve avec son sucre, elle essaie de me retenir, je la rassure, j'ai vu une boîte de kleenex à côté de l'infirmière. J'y vais, je ne lui demande rien, je prends, elle s'offusque, je lui dit que j'en ai besoin, elle comprend à mon ton qu'il ne lui faut pas insister. Je la déteste d'être si détachée et indifférente. Je sais que lorsqu'elle punchera sa carte, plus rien de ceci n'existera pour elle, son job, sa surveillance sera terminée. Pour elle cela n'est que survie, une bonne paye au bout de la semaine et c'est tout. Peut-être n'a-t-elle pas les compétences pour placer des boîtes de conserve sur les tablettes chez Provigo! J'hésite, devrais-je le lui dire? Je retourne m'asseoir, Yvonne attend, elle a déjà oublié, le rouge a coulé sur sa jaquette, je lui essuie le menton. Elle me regarde sans comprendre. Je lui souris, ils sont si loin ses sourires à elle. Je repique la cuiller dans le bol et je la lui montre, elle reste indifférente, elle n'en veut plus. Je repose le bol sur la table puis j'hésite pour les kleenex. Non je ne lui rapporterai pas, elle devra se lever si elle y tient tant que ça. À travers la fenêtre grillagée, je peux voir les oiseaux qui se poursuivent à travers les branches, ils sont libres, libres d'aller où ils veulent, je regarde Yvonne et j'aimerais tant pouvoir lui redonner sa liberté. Mais je ne peux pas! Elle est prisonnière d'elle-même. Je regarde l'horloge, je sais que bientôt il va me falloir partir, je déteste partir et la laisser ici. Quand elle s'agite, ils l'enferment dans sa chambre, elle se retrouve seule et elle a peur, elle crie, elle frappe sur la porte qu'ils ont refermé sur elle et moi je suis ailleurs, libre de tout. Ma folie est libre. Je la regarde, je lui reprends les mains, je les tiens dans les miennes, elle ne semble pas comprendre. Je cherche dans ses yeux des traces de ce que je suis, je n'y vois que le vide, l'absence, je serais un autre venu d'une autre planète que cela ne changerait rien à son regard. Je ne sais plus quoi lui dire, de toute façon ces mots ne serviraient qu'à me rassurer moi-même, elle ne les comprends plus. Il n'y a que les siens auxquels elle comprenne quelque chose en ce moment, elle est d'un autre monde que le mien. Je sens mon être aussi étrange pour elle que ce qu'elle est devenue me semble impossible à vivre. Ce n'est plus une existence que la sienne, elle n'est que souvenirs présents dans mon esprit. L'être qui est devant moi est beaucoup plus une image qu'autre chose, mais je l'aime tellement cette image! Je suis sorti d'elle. Je me lève, mes mains se détachent des siennes, elle ne s'en rend pas compte, son regard ne me suis pas. J'ouvre la porte, je me retourne, l'expression sur son visage n'a pas changé, mon cour se déchire, je referme la porte. Dehors, je marche et je pleure. La chaleur du soleil printanier ne me touche pas, ma jambe me rappelle que je ne me souviens pas. Retourner à la maison, boire quelque chose,  faire quelques téléphones, trouver quelqu'un qui acceptera de partager un souper, fumer quelques joints, oublier jusqu'à demain. Ma folie m'attend. Dans le parc Lafontaine, je me retourne, je regarde le grand bâtiment gris, je le déteste. Une femme me regarde pleurer, je me retourne, je dois continuer, avancer dans mon existence. Je marche et ça fait mal, j'ai de la difficulté à avancer. Je cherche mais je ne me souviens pas. Ce soir peut-être il y aura quelqu'un pour me renseigner, une habituée, un habitué. De toute façon, savoir ou pas, cela ne changera rien au fait que j'ai mal.










Le téléphone! J'arrive! Dring..dring...dring.. Ok, je t'attends. Peut-être que j'aurais du lui demander, je ne me souviens plus si elle était là hier. De toute façon c'est pas grave, elle s'en vient. De la bière, ok, il en reste une couple. Qu'est ce que je pourrais faire pour manger, je ne sais pas, je vais l'attendre. À la limite on ira manger des hot dogs quelque part. Elle a une voiture, je n'aurai pas à marcher sur ma jambe. Bon la porte maintenant. C'est Françoise.

Entre!

Bonjour , t'as l'air magané!

Bonjour, c'est une belle surprise. Oui, je suis un peu fatigué.

J'aime bien Françoise, sa gentillesse, sa fausse naïveté, sa bonté, son côté bonenfant. Elle écoute mais elle raconte aussi, son univers n'est pas qu'elle-même. Elle a un univers ouvert, observateur et anecdotique. Elle me regarde et rie de ma patte qui se traîne, elle fait bien, elle en a le droit, elle me connaît, je rie avec elle. J'aime ce côté qu'elle a de s'intéresser aux autres, pas uniquement en surface, elle aime gratter, pas gratter pour se satisfaire par souci de comérages mais par souci des autres. Elle aussi j'aimerais bien faire des choses avec même si elle est un peu maigrichonne, mais je n'ose pas essayer, tâter le terrain et quand j'en éprouve vraiment le désir, son chum est là ou bien je suis trop ailleurs pour pouvoir me tenir debout. J'ai bien aimé l'autre jour quand elle ma raconté l'aventure qu'elle avait eu la veille dans une voiture. Denis ne se doute de rien, mais il n'est pas le seul du couple à s'amuser, elle sait aussi y faire quand elle en a envie. Je ne sais pas comment ni quand vraiment cela a commencé, ni aussi pourquoi les femmes quand elles ont quelque chose à raconter, une peine à partager, elles viennent toutes frapper à ma porte, peu importe l'heure du jour ou de la nuit. Elle aime aussi frapper à ma porte pour me parler. La buanderie est à côté et elle aime bien venir chez moi entre les brassées, jaser, sourire, raconter telle ou telle rencontre, dire qu'elle m'a vu sourire à une telle, qu'une telle semblait s'intéresser à moi. Elle est très observatrice et précise dans les détails. Elle avait même pris le temps de m'expliquer toutes les étapes de son aventure. L'allure du gars, l'endroit, le moment de la rencontre, ceux qui étaient avec eux, puis leur première relation dans les toilettes du bar. Peut-être est-ce tout simplement parce que j'aime écouter, peut-être est-ce cela qui peuple un peu mon vide, les aventures et expériences de ces femmes qui m'aiment bien. Voilà tout le malheur dans cela, elles m'aiment bien! Je roule, je roule, je fume mais Françoise ne fume pas, elle raconte, elle interroge, elle me dit que j'aurais du aller à l'hôpital pour faire voir. Je lui dis que je vais déjà assez à l'hôpital sans que j'y aille en plus pour une blessure qui va partir dans quelques jours. Elle me demande comment était ma mère, elle sait que j'ai du mal avec ça, mais elle s'informe, pour savoir, surtout pour savoir où j'en suis avec cette histoire. Je lui répond, je lui dit ce qui en est, elle ne dit plus rien, elle se contente de me regarder fumer un autre joint. Je lui offre une bière, elle accepte d'en partager une avec moi. Ça non plus, elle n'est pas une grande buveuse, elle aime la lucidité, moi il y a longtemps que je n'en veux plus de la lucidité, c'est pas pour moi. C'est pour les gens comme elle qui savent s'intéresser sans artifices aux êtres et aux choses. Elle me reparle du gars dans la voiture, il l'a rappelé, elle ne sait pas. Je l'écoute, je la regarde, je ne dis rien, j'écoute. Je ne donne pas mon avis, je n'ai pas à donner non plus de conseils, c'est personnel sa vie, ça la regarde elle, pas moi. Tout ce qui me regarde, c'est ce qu'elle me raconte, je suis là en face d'elle, gelé et sur le bord d'être saoul et je l'écoute. J'ai des oreilles et un cerveau qui enregistre mais qui refuse de se mêler des histoires des autres. De toute façon je déteste tous ceux qui savent, tous ceux qui veulent me donner des conseils. Je n'en ai pas besoin de leurs conseils, ils peuvent s'étouffer avec. Moi je m'étouffe tout seul, je me suffoque et je le sais, mais je peux encore supporter. Oui je supporte, c'est nécessaire que je supporte, du moins encore un temps. La porte s'ouvre, c'est Benoit. Toujours ricaneur et blagueur, il avance vers nous. Sans dire un mot, il met un sac de pot sur la table et sort d'une autre poche quelques capsules de mescaline. Il s'avance vers Françoise, se penche vers elle, mets ses mains sur son corps et il l'embrasse. Je ne sais pas pourquoi, je n'arrive pas à poser ces gestes, je me les interdit. J'en éprouve pourtant un besoin constant mais je suis incapable de franchir ces lignes qui me séparent d'elles. Pourtant il y en a des femmes dans ma vie, mais des amies sans plus. Peut-être est-ce la crainte de passer outre cette amitié qui me fait me sentir mal dans ces situations. Mais eux, ils s'embrassent. Benoit, le beau gosse, le gars de l'autre bord, il sait toujours quoi faire avec les filles. Moi je ne sais que les écouter, mais lui, elles ne lui racontent rien, elles le regardent, certaines le désirent, je le sens quelques fois, certaines me l'ont dit mais je sais que ce ne sera jamais à sa porte qu'elles iront frapper pour raconter leurs peines. Je sais aussi que ce ne sera jamais chez lui qu'elles iront frapper à quatre heures du matin parce que incapables de conduire jusque chez elles pour avoir trop bu. Jamais non plus elles n'iront vers lui pour lui demander la clef de son appartement pour aller se coucher dans son lit. Avec moi, elles savent qu'elles peuvent se pencher vers moi et me demander la clef pour venir dormir dans mon lit et que lorsque je rentrerai, je ne leur sauterai pas dessus. Elles savent que je vais rentrer sur la pointe des pieds, malgré mon état d'ivresse et mon état de gelé et me déshabiller pour tout simplement m'étendre à côté d'elles dans mon lit. Elles savent que jamais je ne trahirai leur confiance, elles sont mes Amies. Elles savent que si la chaleur les a obligé à être complètement nues et sans couvertures sur leur corps, jamais je ne profiterais de la situation. D'ailleurs combien de fois Josée est-elle restée à coucher dans mon lit. Ses malheurs à me raconter tard dans la nuit, son corps collé contre le mien, juste pour un réconfort. Je sais que jamais elles ne feraient confiance à Benoit pour ça. Benoit, il les saute, il ne les écoute pas. Cela ne fait pas de lui un méchant garçon, il est juste différent de moi, il n'agit pas de la même façon, ne considère pas les gens de la même façon. Son existence est différente de la mienne. Il aime encore rigoler un bon coup. Il s'assied, dit quelques blagues, lance quelques sourires, au passage essaie de m'égratigner un peu, c'est de bonne guerre mais Françoise n'est pas dupe. À peine assis, il se met à rouler tout en redevenant sérieux.

 -Il paraît que tu t'es cassé la gueule hier soir.

 -Comment le sais-tu?

Il ne m'a pas vu marcher. Je sais, il n'a pas besoin de répondre, c'est Matéo, il l'a vu ou ils se sont parlés au téléphone. Les nouvelles vont très vite dans la confrérie des fumeurs de joints. Déjà au lever, les nouvelles se répandent. Je lui dit que je ne sais pas comment ça m'est arrivé, je n'en ai aucun souvenir, peut-être dans quelques heures je saurai, quand déjà ivre et défoncé nous arriverons au bar. Françoise observe et ne dit rien, elle observe. Je sais que lui aussi il aimerait bien la sauté la Françoise quand il lève la tête pour lui lancer un sourire pendant qu'il s'applique à rouler. Mais lui, ce serait uniquement pour faire chier Denis qu'il le ferait. Malgré son jeune age, il est très sur de lui, il est le plus jeune de notre confrérie des grands bouseux et drogués. Il regarde ma bière, j'ai oublié de lui en offrir une. J'ai compris, je me lève, j'ouvre le frigidaire et j'en prends une qu'aussitôt je pose devant lui. Minutieusement, il s'applique à enlever les graines dans le pot qu'il émiette sur le papier. La bouteille reste là, tant qu'il n'a pas fini de rouler, je le sais, il ne lui faut pas se mouiller les doigts pendant qu'il fait son travail. Françoise se remet à me parler, elle m'interroge sur la soirée à venir. Elle me dit qu'elle a de bons billets pour la prochaine pièce au TNM, elle me les offre, j'accepte. Le nom de la pièce ne me vient pas, je me rappelle cependant que j'avais aimé. J'y avais amené France pour la distraire un peu. Depuis des mois qu'elle colle ici, régulièrement, elle vient dormir ici, incapable de retourner chez elle. Elle n'a qu'une obsession, son chum qui est allé à Amsterdam pour y acheter de la coke et la ramener ici via la France. Malheur lui en prit, son escale lui a été fatale, arrêté sur les quais d'une gare parisienne, il est en tôle quelque part en France. En attente de jugement, tout le clan essaie de trouver des sous pour lui payer un avocat. Elle a fait une collecte, je lui ai donné un de mes chèques de chômage, les chums c'est important. Elle a aimé elle aussi, du moins elle avait semblé. Je me souviens que dans cette pièce jouait Angèle Coutu et Ghislain Tremblay, c'était pour moi la première fois que je voyais Ghislain Tremblay, enfin, un plus petit physiquement que moi qui perçait, je trouvais que cela lui donnait encore plus de crédit. Françoise était contente, elle voulait que le lendemain matin j'aille la réveiller pour déjeuner avec elle. Ensuite, elle s'était levée et en passant à mes côtés, elle avait déposé un baiser sur ma joue. Je n'arrivais pas à embrasser les femmes que j'aimais lorsque je les rencontrait mais je ne dédaignais pas les baisers qu'elles m'offrait. Je l'ai regardé partir, pendant que Benoit se plaignait qu'elle l'eusse négligé en ne lui posant pas un baiser sur la joue. Elle s'était contenté de lui dire que ce serait pour un autre jour et elle retourna à ses lavages. Petite jouissance pour moi qu'elle venait de m'offrir. Déconcerté, il m'avait regardé alors que moi je me relevais pour m'ouvrir une autre bière. Nous fumèrent l'un après l'autre les joints qu'il avait roulé puis il me lança une des capsules de mescaline. Je la pris dans ma main mais je la remis sur la table. Je devais attendre d'avoir mangé pour cela. De nouveau, la porte s'ouvrit, cette fois, c'était elle. Judith venait de faire son entrée. Je jetai un oil à Benoit pendant qu'il la regardait avancer vers la cuisine où nous étions. Il était visiblement troublé par celle qu'il voyait venir vers nous. Dans la lumière du contre-jour, il n'arrivait pas à distinguer son visage, mais sa démarche, sa robe, ses chaussures à talons hauts, tout cet ensemble qui avançait à pas lents l'avait fait cesser de respirer. Peu de ceux de mon groupe d'amis l'avaient déjà rencontré ou était au courant de son existence. Elle était à part, d'un autre univers. Elle n'était pas une droguée, ni une désespérée comme je pouvais l'être et elle ne fréquentait pas les bars où j'aimais traîner. Mais elle était mon amie. Curieux mélange que le nôtre, elle était l'apothéose, j'étais le clochard, elle était merveilleusement belle, j'étais à peine beau, elle était tout, je n'étais rien. Un soir que j'étais ivre mort et malade le long d'un trottoir, vomissant tout ce qui pouvait se trouver dans mes entrailles, elle avait arrêté sa voiture pour me venir en aide. Plus tard, elle m'avait avoué qu'elle s'était arrêtée parce qu'elle me pensait beaucoup plus jeune que je ne l'étais en réalité. Elle avait à la fois peur de s'arrêter mais était déchirée à l'idée de me laisser là dans l'état dans lequel je me trouvais. Encore une fois mon allure de petit bonhomme mal pris m'avait mis sur la route d'un être extraordinaire. Elle était intelligente, douce, calme, généreuse d'elle même, belle, élégante, elle avait tout de ce que j'avais toujours rêvée d'une femme. À l'improviste, elle était toujours de passage, elle s'arrêtait quelques minutes, voir si j'étais là puis après quelques minutes, elle repartait comme elle était venue. Elle ne restait jamais si je n'étais pas seul, des fois elle m'amenait avec elle, elle me faisait mettre ce que j'avais de plus beau puis on sortait ensemble, dans des endroits où jamais je n'aurais osé entrer. Elle aimait comme ça, à l'improviste arriver, m'amener au salon et me faire l'amour sur le plancher pour repartir presque aussitôt. Je n'ai jamais rien su d'elle, sinon que j'aimais sa présence de femme fatale à mes côtés. Elle avança jusqu'à la table me regarda pour me dire bonjour puis elle salua Benoit avant de me demander de la suivre à l'avant de la maison. Elle plaqua sa bouche contre la mienne et se saisit de mon sexe avant de me regarder et de me dire que c'était malheureux que je ne sois pas seul. Elle partit sans ajouter quoi que ce soit. Je la suivit jusqu'à la porte et je la regardai descendre l'escalier. Quand elle monta dans sa voiture, elle me sourit puis elle disparut. Je revenais vers Benoit qui se mit à me questionner sur elle. Je me contentai de lui dire que c'était top secret. Elle essaya bien de me faire causer mais il ne réussit à rien savoir d'autre. Malgré l'alcool, malgré la dope, il ne sut rien. Elle était intouchable et inaccessible , elle était d'un autre univers, d'un univers ou moi seul avait accès dans ma confrérie de drogués. Elle était un ange, un archange rien que pour moi, descendu du ciel pour moi et uniquement moi. Encore une fois la porte s'ouvrit, France venait d'arriver. Le ton changea, France prit le plancher. Elle était d'humeur aujourd'hui, plus tôt dans la journée, elle avait reçue un télégramme de l'avocat de son chum, les choses allaient pouvoir s'arranger d'ici peu. Il lui avait parler d'extradition, je lui ouvris une bière. J'aimais la voir dans cet état d'euphorie, quand elle souriait, qu'elle riait de toutes ses dents. Elle se sentait d'attaque. Je sortis un morceau de hash que j'avais encore au fond de ma poche, il fallait fêter ça. Je me mis à l'émietter et à le mélanger à un peu de tabac que j'avais prélevé sur une des cigarettes de France pendant que Benoit et elle faisait la conversation. Je ne disais rien, je n'essayais pas de me mêler à leurs mots, j'écoutais simplement pendant que je m'affairais à ma mixture. Cependant j'observais France, je savais que malgré ses sourires et son bonheur, derrière demeurait une incertitude. Il y avait des mois qu'elle traînait son malheur à mes côtés. Malgré tout ce qu'elle racontait, il y avait en elle une deuxième conversation, une conversation avec celui qu'elle espérait. Je savais aussi que tard dans la nuit, elle viendrait frapper à ma porte si je n'étais pas déjà avec elle pour que je fasse du café et que je m'assoit avec elle au coin de la table pour l'entendre, écouter ses malheurs.


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Noir en ostie mais maudit qu'on se reconnait. Un regard lucide porté sur le sentiment de désagrégation de l'espace social de l'individu.