PUTAIN DE JOURNEE
par Screaming Bull
Putain de journée. Je suis bon pour une méchante casquette. Le jour s'est
levé depuis un bon moment déjà, et je ne me décide toujours pas à sortir du
pieu. Non pas que mon lit soit si confortable, non, ce n'est qu'un vieux bout
de matelas en mousse posé à même le sol, mais c'est simplement que je ne veux
pas bouger. Je ne veux pas avoir à me laver, ni à me regarder dans la glace,
ni à foutre le nez dehors, je ne veux pas avoir à affronter la vie. Ma conscience
me travaillerait trop. J'ai suffisamment l'impression d'être une loque pour
supporter que les autres aussi se fassent à cette idée. C'est une de ces journées
où on regrette de s'être réveillé, où on souhaiterait le repos éternel, comme
ils disent dans les églises histoire de se rassurer un peu. Tout le monde
a envie de quelque chose, envie de bosser, envie de d'aller au cinoche, envie
d'un aspirateur, d'une bagnole, d'un chouette appart ou d'une bonne pipe.
Et bien moi, aujourd'hui, je n'ai envie de rien. Simplement envie d'en finir.
Quoique, la mort, pour m'en être approché d'un peu trop prés, je ne crois
pas avoir envie de boire un coup avec elle avant longtemps. Le néant, c'est
bien plus effrayant que tout le merdier qui nous entoure. On n'imagine pas.
Dire qu'un jour, je vais y passer.ça me fait froid dans le dos. Mais pour
le moment, je suis là, alors autant essayer de profiter un tant soit peu de
la ballade. « Carpe diem », « profitez du jour présent », qu'ils disaient.
Mouais, j'ai bien essayé, mais j'ai dû mal m'y prendre parce qu'à force de
profiter, j'en suis arrivé à un profond dégoût de ma personne et de l'être
humain en général. J'ai trop bu, je me suis trop défoncé, et j'ai trop baisé.
On est tous à cavaler comme des ânes derrière un cul, et on se la fait tous
mettre bien profond. Le cul, c'est bien avant, quand on ne sait pas qu'on
va baiser, mais qu'on a la queue qui frétille, prête au combat. Pendant, c'est
le pied, quoique tout dépende de la miss qu'on est en train de faire reluire.
Mais après ? La déprime, le dégoût, cette chose molle qui nous pend entre
les jambes, les yeux vitreux, la sensation de vide qui nous submerge. Et cette
fille, à côté, les jambes encore écartées, dévoilant ainsi devant nos yeux
indifférents l'origine du monde, d'où s'écoule un liquide blanchâtre qui pourrait
aisément être assimilé à du pus. Une fois nos pulsions assouvies, on regrette
amèrement de s'être laissé si facilement berner par elles. Le sexe n'est qu'une
grande mascarade. Encore un de ces trucs pour nous faire croire qu'on est
unique et que la vie vaut la peine d'être vécue. Merde, j'ai l'air pessimiste,
là, mais faut pas s'y fier. En réalité, si cette débauche de chair me
donne la nausée, c'est que la seule chose qui pourrait transformer cette bestialité
en un pur instant d'éternité, la seule chose qui pourrait me faire sentir
un peu moins seul face à ce cul qui se trémousse dans tous les sens,
cette chose est absente de ma vie. N'allez pas croire qu'elle n'ait jamais
été présente, bien au contraire, tout est là. Un jour, vous êtes avec une
fille, vous voyagez avec elle dans des pays peuplés de gens qui parlent un
langage inconnu, vous faites l'amour avec elle dans un train couchette pendant
que les autres passagers font semblant de dormir, sympa les gars, elle vous
caresse les cheveux, vous écrit des petits mots absurdes mais tellement beau,
elle se laisse doucement envahir par la sommeil en se blottissant contre vous
et en vous susurrant un mot tendre que vous n'êtes même pas foutu de comprendre,
et puis un jour, elle n'est plus là, plus personne pour vous écrire ces mots
à la con, plus personne pour vous dire je t'aime, plus personne pour vous
gueuler que vous n'êtes qu'un salaud, un poivrot, une ordure, et pour vous
prendre dans ses bras en pleurant dans la seconde d'après en vous donnant
l'absolution de tous vos pêchés, plus personne pour réveiller les voisins
avec des hurlements orgasmiques, plus personne pour se jeter dans vos bras
alors que vous revenez des berges du Styx, plus personne. Plus personne pour
vous sauver. La vérité, c'est que tous autant que nous sommes, quoi que l'on
dise et quoi que l'on fasse, tous, nous sommes tous fatalement, désespérément,
profondément et irrémédiablement seuls. C'est la Saint Valentin. Dans la rue,
il y a un couple qui s'embrasse. Elle lui colle la main sur la braguette.
C'est vraiment une putain de journée.
Noter ce texte :
Jo bonetti
Un moment agréable, c'est bien écrit, on rentre dans le jeu. Que demander de plus?
Je l'ai lu car moi aussi j'ai une putain de journée, ne t'en fais il y a en d'autre me disent les copains, belle bande d'imbécile-heureux n'est-ce pas?
c'est bien écrit on dirait du Djian non je rigole mais on passe un bon moment en se disant "au fond il a raison"
Clair, net, précis et honnête. Du direct, du live... nous y sommes.