L'Ouest sauvage

par Philippe Tambwe

 

CHANEL N°5

"Dégage ! Prends tes affaires et tire-toi si t'es pas contente

- Espèce d'enculé ! De toute façon, j'ai rien à foutre avec un type comme toi. Regarde-toi, Jim! Tu es complètement saoul. Espèce d'alcoolique ! Et t'as vu l'heure qu'il est ? J'en ai assez !

- Putain, tu me casses les couilles ! Je suis juste allé boire un verre !

- Un verre ? Cent verres, plutôt ! Tu devrais voir la gueule que t'as !

- Quoi, ma gueule ? Elle te plaît pas ma gueule ?

- Tu vois très bien ce que je veux dire ! Je me casse, tu m'entends, p'tit con ? J'en ai ma claque de tes conneries !

- C'est ça, casse-toi !"

Jim ouvrit la garde-robe de Billie, saisit bas, robes et autres talons aiguilles, tout ce qui pouvait tenir dans ses bras, et, d'un geste plein de grâce, balança tout à terre.

" Enfoiré ! ", hurla la pauvre Billie. Elle saisit un flacon de parfum qui trainait dans la salle de bains, un cadeau que son enfoiré lui avait offert pour ses vingt et un ans, et jeta violemment l'objet. Et le flacon heurta le crâne de Jim de plein fouet. "Ouille !" Il grogna et s'avança vers Billie, levant sa main pour la gifler, et elle recula, effrayée. Mais elle se heurta au mur froid du petit living-room. Il la gifla violemment, et, pris dans son élan, tituba, et fit une légère rotation sur lui-même avant de s'effondrer sur le sol. Il murmura quelques insultes variées, telles que salope, connasse, ou encore pétasse, puis sa vue se troubla, et il perdit conscience.

Billie prit toutes les affaires que Jim avait foutues par terre et les mit dans un grand sac de sport. Et elle pleurait et regardait Jim étendu à terre. Puis elle sortit de l'appartement en claquant la porte, et elle entendit les voisins qui criaient "c'est pas bientôt fini ce boucan !" Et elle leur répondit "occupez-vous de vos oignons, bande de cons !"

Lorsque Jim se réveilla, la première chose qu'il vit fut une boule de poils avec de grands yeux tout ronds. C'était Arthur, le chat, qui lui tournait autour en miaulant. Jim se rendit compte qu'il avait dormi par terre. Il se leva et jeta un coup d'oeil sur la petite horloge du salon: il était midi. Puis, il se dirigea vers la fenêtre, qui était grande ouverte, et leva les yeux vers le ciel. Le soleil était au zénith. "Salut à toi, ô Ré tout puissant !", dit-il en levant les bras pour s'étirer. "Pas de nuages aujourd'hui ?", continua t-il, toujours en s'adressant au soleil. Il alla s'affaler dans ce bon vieux divan bleu et alluma la télé. Que des conneries ! Après avoir zappé pendant trois minutes, il s'arrêta finalement sur la chaîne musicale, qui passait un clip montrant une gonzesse qui balançait ses nichons siliconés à mille dollars la pièce en chantant une chanson complètement débile. Il passa une main sur son crâne et il se rendit compte qu'il avait un énorme hématome. Il se sentait mal, il avait un peu trop bu hier soir. Et comme d'habitude, sa gueule de bois lui infligeait de solides maux de tête. Arthur n'arrêtait pas de tourner autour de lui et de se frotter contre sa jambe et réclamait son attention en lui adressant des "miaou" désespérés. "Qu'est-ce que tu veux, toi ? T'as faim, c'est ça ?" Il se leva et se rendit dans la petite pièce à côté, où était installée la cuisine sous-équipée, il ouvrit une des armoires et en sortit une boîte de nourriture qu'il vida dans un bol. Le tigre miniature ronronnait de plaisir. "Voilà, et me fais pas chier. T'as de la chance, toi. Du moment que tu bouffes et qu'on te laisse dormir, t'en a rien à foutre", dit-il en caressant le chat à côté duquel il c'était accroupi. En se relevant, Jim remarqua des traces d'une couleur rougeâtre qui parsemaient le vieux carrelage blanc de la cuisine. Un pot de confiture aux framboises renversé dans un coin de la pièce constituait une preuve flagrante d'un attentat félin. " Et alors, ça te suffit pas tes croquettes ? Si tu crois que je vais nettoyer tes saloperies, tu te fourres la patte dans l'œil !" Arthur, la tête plongée dans son bol, s'en foutait royalement. Jim ouvrit ensuite une des armoires et en sortit une bouteille de whisky. " Héhé, il faut combattre le mal par le mal !" Il se tordit de douleur. Son mal de crâne, qui empirait, le ramena vite dans le divan bleu, devant la pétasse siliconée qui n'avait toujours pas fini de se trémousser sur le petit écran. " Putain, ma tête !" Il but une grosse gorgée de whisky en avalant un comprimé de codéine. Et il pensa un moment à Billie qui était partie, mais il savait qu'elle serait de retour avant la tombée de la nuit. Elle était certainement allée à la plage pour se changer les idées, c'était ce qu'elle faisait lorsqu'ils se disputaient. Jim n'avait pas trop à s'inquiéter pour ça, et de toute façon, il n'avait pas le temps de se prendre la tête, car il devait préparer l'interview de ce soir, qui allait faire la une du magazine pour lequel il bossait.

Après qu'il eut pris un copieux petit-déjeuner, il s'installa devant son ordinateur et se mit au travail.

 

VIVA BRASIL!

Gladys s'était faite toute belle aujourd'hui. Les parents de Dan les avaient invités à dîner tous les deux. C'était la première fois qu'ils allaient voir leur future belle-fille, et elle voulait leur faire bonne impression. Elle s'était habillée dans des tons sobres et élégants. Elle finissait d'attacher ses cheveux lorsqu'on sonna à la porte. Elle se regarda une dernière fois dans la glace. Une vraie sainte-nitouche ! Elle sortit de la salle de bain, descendit les escaliers, ouvrit la porte et embrassa Dan sur la bouche. " Salut poupée !" Ils montèrent ensuite dans la nouvelle voiture de Dan, une belle Cadillac Convertible. " Alors qu'est-ce que tu penses de ma nouvelle bagnole ?" Il posa une main sur les genoux de Gladys et se mit à lui caresser la jambe.

" Elle est belle !

- Elle est belle… C'est tout ce que tu trouves à dire sur ce petit bijou ? Cette bagnole, elle a une

âme. Des bijoux pareils, on n'en construit plus de nos jours !

- Mais oui mon amour, je te crois."

Gladys le regardait en lui souriant stupidement. " Quelle conne ! Les gonzesses, elles y comprennent rien à rien", pensa t-il. Trois ans de boulots minables pour pouvoir s'acheter cette merveille pour qu'on lui dise "elle est belle". Elle est magnifique splendide, fabuleuse ! Voilà les mots qu'il fallait employer. Elle l'énervait déjà, et il sortit une cigarette avant de démarrer en trombe. Il était midi passé et ils ne devaient pas arriver en retard, car les parents de Dan détestaient qu'on arrive en retard. Gladys lui dit qu'il faisait beau aujourd'hui, ce qu'il avait déjà remarqué, puis elle se mit à lui parler d'un film d'amour qu'elle avait vu, et elle avait pleuré à la fin car c'était émouvant. C'était une fin du genre " ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. " Et elle se mit à lui causer de mariage, ce qui énerva encore plus Dan.

" Le mariage, c'est dépassé ! Et pourquoi tu me parles de mariage ? Ça fait que cinq mois qu'on sort ensemble.

- Oui, je sais. Mais je… Je trouve ça merveilleux, ça consacre les sentiments qu'éprouvent deux

personnes l'une pour l'autre !"

Elle regardait Dan amoureusement et voulut l'embrasser mais il la repoussa. " Hé, tu

veux qu'on fasse un accident ou quoi ?" Il continuait à rouler vers l'est de Los Angeles et il passa devant un énorme panneau publicitaire. C'était une pub pour des sandales avec une

nana brésilienne en maillot de bain deux-pièces, vue de dos. Elle était toute bronzée et trop bien foutue et Dan se dit " Putain, mais quel cul !" Et il s'imagina en train de la prendre dans toutes les positions du Kama-sutra. Mais Gladys l'interrompit dans ses rêveries. Il avait envie de la jeter de la bagnole.

"Dan, je t'aime.

- Je sais, je sais…

- À toi, dis-le.

- Quoi ?

- S'il te plaît.

- Tu sais bien que j'aime pas de le dire quand on me le demande (et Gladys le lui demandait à chaque fois).

-Allez, dis-le moi !"

Elle lui faisait vraiment pitié à l'implorer comme ça. " Bon d'accord... Je t'aime." Et Gladys était contente et elle fit un grand sourire, et elle voulut à nouveau l'embrasser mais il la repoussa. Elle devenait vraiment chiante !

Ils étaient tout près de chez ses parents à présent. Dan devait prendre la prochaine rue à gauche et remonter le boulevard mais il prit à droite et il s'arrêta quelques rues plus loin. " Voilà on y est, c'est juste en face ! Tu peux déjà descendre, je vais vite aller me garer là-bas plus loin. Comme ça tu devras pas trop marcher." Gadys sortit de la voiture et referma la portière. "À tout de suite mon amour !" Et Dan murmura "c'est ça, adieu, pauvre conne !"

 

LES COPAINS DABORD

Jim venait d'éteindre l'ordinateur lorsqu'on frappa à la porte. Cela devait certainement être Billie, qui était encore une fois partie sans prendre ses clés. Jim se précipita dans le petit corridor de l'entrée et ouvrit la porte le sourire aux lèvres, prêt à serrer Billie très fort dans ses bras. Mais ce n'était pas Billie, c'était Dan.

Dan aimait les tenues décontractées. Il portait une chemise hawaïenne rouge et blanche, un short large, des sandales, et des lunettes de soleil de surfer qui lui donnaient une allure de petit diable. "Quel look d'enfer !", s'exclama Jim. "Attends, mec, t'as pas encore vu ce qui va avec. Va voir ce qui est parqué devant chez toi et tu vas tout de suite comprendre !" Jim but une gorgée de whisky et tendit la bouteille à Dan qui en fit de même, et il s'approcha de la fenêtre et pencha la tête : entre la vieille Toyota pourrie de Jim, et une grosse bagnole allemande quelconque, il aperçut une superbe Cadillac rouge. " Putain, c'est à toi ce joujou ?" Dan alla s'installer à côté de Jim et enleva ses lunettes dans un geste plein de frime : " Cadillac Convertible de 1959, une horde de chevaux sous le capot, intérieur cuir rouge assorti, et blablabla..." Il regardait sa bagnole d'un air presque amoureux. Il se retourna vers Jim, les yeux pétillants, et lui demanda, sans douter une seconde de la réponse :" On va faire un tour ?" Jim lui répondit que bien que ça lui aurait fait très plaisir, ce serait pour la prochaine fois, car il devait se rendre à Beverly Hills le plus vite possible. Dan ne lui laissa pas le temps de s'expliquer et reprit :

"Ecoute Jim, il faut absolument que tu poses ton cul dans cet engin. On va juste faire un petit tour de rien du tout. Allez !

- Bon, d'accord, mais vite fait alors."

Jim eut à peine le temps d'aller pisser, de prendre sa carte de presse, son petit magnéto, qui traînait au milieu d'autres paperasses sur la table, près de l'ordinateur, et d'enfiler son blouson de cuir, que Dan s'impatientait déjà : " Allez, grouille-toi, vieux ! " Dès que Jim eut fermé la porte d'entrée de l'appartement, Dan se rua dans les escaliers comme un sauvage et descendit les marches quatre à quatre, littéralement. Jim essaya de le suivre mais il prit un peu plus de temps car il était encore un peu saoul et il faillit se planter plusieurs fois.

À l'entrée, Jim croisa une des locataires de l'immeuble. C'était une vieille femme qui habitait au rez-de-chaussée. Elle portait deux petits sacs en plastique remplis de nourriture. Jim avait tout essayé avec elle : la politesse, la flatterie hypocrite du style "bonjour, Mademoiselle", elle ne répondait jamais. Cela faisait tout de même plus d'un an que Jim et Billie avaient emménagé dans l'immeuble. On lui avait peut-être coupé la langue, ou peut-être était-elle sourde. Dan, qui pouvait être un garçon bien élevé à ses heures, lui tint la porte et la salua. Jim passa à côté d'elle sans lui dire un mot, mais en lui jetant tout de même un regard. Il ne la trouvait vraiment pas belle et se demandait à quoi elle devait ressembler lorsqu'elle avait vingt ans. Quelle sorcière ! Alors qu'il s'apprêtait à franchir le pas de la porte, elle lui attrapa le bras. Jim sursauta tellement il fut surpris de se faire ainsi agresser. Elle le regarda droit dans les yeux et lui dit: " Croyez-vous que les animaux vont au paradis ?" Elle avait une petite voix grinçante. Une petite voix de petite vieille énervante. Jim resta bouche bée. Cette vieille chose n'avait jamais daigné lui dire bonjour et voilà qu'elle se mettait à lui causer de paradis. " J'suis pas croyant ", lui rétorqua t-il. Il sortit de l'immeuble sans se retourner et alla rejoindre Dan dans la bagnole.

"Alors, on drague les grands-mères, maintenant ?", lança Dan qui avait toujours le mot pour rire. Jim ne répondit pas. Il sortit une cigarette toute fripée qui traînait au fond de sa poche et l'alluma. Dan mit le contact et démarra. S'ensuivit toute une série de commentaires auxquels Jim se contentait de répondre par un " ouais " approbateur: " C'est confortable, hein ? T'as vu comme elle brille ? Regarde comme les nanas nous matent ! Ecoute-moi ce moteur ! Et ces sièges en cuir : on a utilisé des vaches de première qualité pour les fabriquer ! C'est vrai qu'on était bien dans cette bagnole. En plus, il faisait vachement beau dehors. Dan aurait cru voir son pote plus enthousiaste que ça, mais Jim semblait abattu.

"Mais qu'est-ce que t'as. T'as l'air perturbé… Quelque chose ne va pas ?

- Ouais. Je me suis encore disputé avec Billie hier en rentrant.

- Encore ? Te laisse pas faire, mec !

- Je suis vraiment inquiet, Dan. Quand on se dispute, elle sort juste une ou deux heures pour se calmer, mais là elle n'est pas rentrée de toute la journée.

- Bah ! C'est pas grave, il fait beau dehors. Elle est certainement en train de se balader.

Jim l'interrompit, sa voix tremblait : " Dan, tu crois qu'elle me trompe ? " On aurait dit qu'il allait se mettre à chialer comme un gosse. Dan connaissait bien cet air de chien battu et savait comment remonter le moral de son vieux pote.

" Dis pas de conneries ! Tu sais bien que Billie t'aime. Elle reviendra bientôt, j'en suis

certain. Je pense qu'elle veut que tu prennes conscience…

- Que je prenne conscience de quoi ?

- Ben, je sais pas moi. C'est un truc de bonne femme. Elles aiment pas trop voir leur mec rentrer complètement saoul à la maison. Elles ont peur qu'on fasse des conneries. Alors qu'on a juste besoin de se distraire et de rire entre potes autour d'une bonne bière. Je crois qu'elles sont jalouses surtout.

- Jalouses, mais de quoi? Je veux pas la tromper !

- Je sais, mais vas-y pour lui faire comprendre! Les femmes sont jalouses de cet amour platonique qui peut exister entre l'homme, ses potes et l'alcool. C'est pas compliqué.

- Dan, tes théories sont complètement débiles, et toi aussi d'ailleurs!"

Dan était peut-être débile, mais il avait réussi à faire sourire Jim, ce qui était un bon début. Il ne tarda pas à passer à la phase deux de son plan : en gardant un oeil sur la route, il ouvrit la boîte à gants et en sortit un gros joint qu'il tendit à Jim. Ce dernier jeta illico sa clope, sortit son feu et alluma le cône sans rechigner. Il se tut pendant quelques secondes, tira de grosses bouffées qu'il fit bien descendre dans ses poumons, avant de les faire rejaillir de la bouche par intervalles irréguliers. Mission accomplie. Jim semblait apaisé :

"On est vraiment bien dans cette bagnole !

- Ah, j'aime mieux ça, rétorqua un Dan plutôt satisfait qui roulait à du deux à l'heure dans les rues d'Huntington Beach, pour que tout le monde admire sa Cadillac. Mais au fait, tu m'as dit que tu devais te rendre à Beverly Hills. Qu'est-ce que tu vas aller foutre là-bas ?

- Merde, j'avais presque oublié ! Je dois interviewer une strip-teaseuse qui va se marier avec un

millionnaire de quatre-vingts ans.

- C'est vraiment toutes des salopes !

- Quoi ?

- Oh, excuse-moi ! C'est vraiment toutes des salopes sauf nos mamans chéries.

- Ah! Voilà qui est mieux !

Éclat de rire général dans la Cadillac rouge, intérieur cuir assorti. Dan demanda à Jim de

prendre la bouteille de whisky qui était en dessous du siège.

" Bois un coup et arrête de tirer cette tronche, Jim.

- Quelle tronche?

- Tu te prends trop la tête (whoa, vise un peu ces gonzesses). J'aime pas te voir dans cet état-là.

- C'est rien.

- Tu sais quoi ? Je vais te conduire à Beverly Hills.

- C'est gentil, Dan, mais je peux prendre ma bagnole. Je veux pas que tu te déranges.

- Allez, c'est bon, mec ! On part à l'aventure entre potes, comme au bon vieux temps ! Laisse ton épave là où elle est !

- Puisque t'insistes..."

Jim expliqua à Dan que dès demain, il diminuerait sa consommation d'alcool et ne toucherait plus à aucune drogue, à part peut-être un petit joint de temps en temps. " Pour Billie." Dan prit la bouteille de whisky, enfonça le goulot dans sa bouche et en soutira trois grosses gorgées avant de répondre: " Ouais, je comprends."

Il était déjà seize heures passées, et il fallait plus d'une heure pour se rendre d'Huntington Beach jusqu'à Beverly Hills en bagnole. La Cadillac et ses deux passagers s'empressèrent de rejoindre l'autoroute. De loin, cela donnait une banale petite voiture rouge qui se déplaçait dans le décor californien, au milieu d'autres banales petites voitures. D'un peu plus près, on pouvait reconnaître une magnifique Cadillac Convertible, modèle 1959. Et de très près, on pouvait apercevoir un conducteur habile qui, d'une main, tenait le volant, et de l'autre, se bourrait la gueule au whisky. À ses côtés, le passager, tout aussi habile, roulait un joint en prenant bien soin de ne pas faire de crasses dans la bagnole.

 

LES BLONDES ...

" Viens t'asseoir sur mes genoux, ma chérie." Le vieux, qui marmonnait, était coincé dans une chaise roulante depuis un bon bout de temps. La vieillesse en était coupable. Mais la vieillesse lui plaisait bien. Tous ces médicaments apaisants qui le faisaient légalement planer, son entourage qui s'occupait de lui comme s'il était un bébé, et surtout cette jeune blonde pulpeuse qui partageait sa vie depuis quelques mois, c'était vraiment le pied.

La blonde en question sortit de la salle de bains, alla s'asseoir sur les genoux du vieux et, passant sa main dans ce qui lui restait de cheveux, lui dit affectueusement: " ça va, Pépé ?" Puis, elle déboutonna sa chemise moulante et fit jaillir ses énormes seins, que le vieux commença à malaxer de ses vilaines mains toutes ridées. Il avança sa tête avec difficulté, à cause de l'arthrite, et embrassa un des deux jolis tétons tout roses qui s'offraient à lui. Après cet effort intense, il entreprît de glisser sa main dans la petite culotte blanche mais une main aux ongles vernis, plus ferme, l'en empêcha : " Petit coquin !", lui dit-elle. Elle prit la vieille main fouineuse et la reposa sur ses seins, qui était un endroit plus convenable. Nancy, c'était son nom, n'avait jamais couché avec lui et n'en avait aucune envie. De toute façon, il arrivait même plus à bander, le vieux, et le viagra ne pouvait rien y faire. Elle se laissait peloter et elle lui tripotait de temps en temps son vieux machin fossilisé, et cela suffisait à le rendre heureux.

Ce soir, ils allaient se fiancer dans ce bel hôtel de Beverly Hills, où Marylin Monroe venait autrefois passer du bon temps, et qui avait été entièrement rénové il y a peu. L'Avalon Hotel avait conservé le style des années 50 et, Nancy, grande admiratrice de la pionnière du mouvement "les blondes sont toutes des salopes", s'y plaisait bien. Nancy n'était jusqu'à présent qu'une petite starlette parmi les autres, mais elle aspirait à devenir une star, comme Marylin. Une seule idée en tête : être jeune, riche et célèbre. Jeune. À 26 ans, elle l'était assurément. Riche. Il suffisait juste d'épouser ce vieux millionnaire, d'attendre qu'il crève, voir même de l'aider à crever si ça tardait trop, et le tour était joué ! Célèbre. Elle comptait bien le devenir grâce à cette soirée de gala que son futur mari avait organisée.

Faut dire qu'il connaissait du beau monde, le vieux croûton. Être patron d'une société de transport par hélicoptère lui avait permis de rencontrer et de sympathiser avec bon nombre de gens intéressants. Avec un peu de chance, elle rencontrerait quelqu'un de chez Playboy et coucherait avec lui pour faire deux ou trois couvertures histoire de lancer sa carrière dans le showbiz. Pépé (c'est comme ça qu'elle l'appelait) avait même des amis producteurs à Hollywood. La totale ! Les seuls ennemis de Nancy, c'étaient les membres de la famille du vieux. Ils avaient tout fait pour la dissuader d'épouser Pépé, allant jusqu'à lui intenter un procès. Quelle erreur ! Pépé était peut être un peu sénile, mais voir sa famille mettre en doute l'amour que Nancy éprouvait à son égard l'avait mis hors de lui. Ces connards avaient non seulement perdu le procès, mais ils allaient être rayés de la liste testamentaire, sur laquelle il ne resterait plus qu'un seul nom : Nancy Grey. Jusque là, tout avait marché comme sur des roulettes, et rien ne semblait plus être en mesure d'empêcher ce mariage, qui devait avoir lieu la semaine suivante.

Nancy jeta un coup dœil sur sa montre Cartier (merci Pépé) : déjà seize heures trente ! Elle fit un bisou sur le front du vieux. " C'est l'heure de tes pilules, Pépé ! J'arrive, je vais chercher un verre. " Elle se leva, alla jusqu'au luxueux mini-bar, et revint avec deux verres, l'un rempli d'eau, l'autre de whisky. " Ça c'est pour toi... ", dit-elle en tendant des petites pilules de toutes les couleurs au vieux, " ... Et ça c'est pour moi ", continua t-elle en avalant son whisky. Elle aida Pépé à prendre ses médicaments, alluma la télé et déposa la télécommande sur ses genoux. " Voilà, comme ça tu pourras t'occuper en attendant que je revienne. " La télécommande glissa et tomba aux pieds de Nancy. Le vieux grommela. Elle s'abaissa pour la ramasser et il en profita pour lui peloter le cul. Nancy se releva en souriant : " Cest mieux que de regarder la télé, hein ! T'inquiète pas mon petit Pépé chéri, je reviens tout à l'heure ! "

Nancy s'enferma dans la salle de bains et se fit couler un bain, auquel elle ajouta des sels parfumés et du bain moussant. Elle se déshabilla et s'admira dans la glace. Elle était vraiment parfaite, du moins selon les normes poupée Barbie. Toute partie non-conforme avait été retouchée à la silicone et au collagène et le résultat était vraiment bandant. Oui, Nancy Grey était à la fois bandante et sournoise : une arme redoutable.

Et dire qu'il y a seulement quelques mois, elle travaillait encore comme strip-teaseuse dans cette boite minable de San Francisco. Cest là qu'elle avait rencontré Pépé, affalé dans sa chaise roulante. Une proie facile. Il lui avait glissé plus de mille dollars entre les seins et elle avait compris. Elle avait reniflé l'odeur du fric. Pourquoi continuer à traîner dans cet endroit misérable alors que le bonheur se présentait là, devant elle, sous la forme d'un vieux chauve handicapé et mourant. À présent, elle se trouvait là, plongée dans le rêve américain, dans cette jolie salle de bains, s'enivrant de l'odeur de cette mixture parfumée qu'elle avait délicatement dispersée dans l'énorme baignoire. Elle en avait fait du chemin, la petite Jennifer Bradshaw (Nancy Grey, c'était son nom de scène), depuis le Michigan qui l'avait vu naître, dans son taudis, fille d'une mère alcoolique et de père inconnu (sa mère hésitait entre Mike, Jeremy, Ryan, Bob, Steve, Ricky et Tom). Ce soir, devant ce parterre d'invités qui allaient la propulser au rang de star, elle allait célébrer ses fiançailles, qui marqueraient la fin de sa misérable existence et le début d'une ère nouvelle, faite de grosses baraques, de belles bagnoles, et de soirées mondaines. Elle savait comment trouver le bonheur: il fallait l'acheter. "Pour être heureux, il faut de l'argent. Et pour être très heureux, il faut beaucoup d'argent", lui avait un jour dit sa mère dans un de ses rares moments de lucidité. Et elle avait ajouté : "Mais toi, tu seras qu'une ratée car n'oublie pas que c'est le même sang qui coule dans nos veines. Telle mère, telle fille ! " Ce jour-là, la petite Jennifer avait pleuré toute la nuit dans son lit, horrifiée. Mais la petite fille avait grandi et avait tout mis en œuvre pour que la prophétie de cette soûlarde qui l'avait mise au monde ne s'accompIisse jamais. Et elle se rappelait à l'école, ses petits camarades de classe qui l'emmerdaient et lui tiraient les cheveux. Et puis qui l'emmerdèrent moins quand, à quinze ans, ses seins commencèrent à pousser, les plus gros de l'école ! Et puis ils lui couraient après car elle devenait vraiment bonne. Et les autres filles, qui étaient jalouses et ne l'aimaient pas. Elle s'en foutait. Ils rêvaient tous de se taper Jennifer Bradshaw, et elle avait l'embarras du choix ! Elle sortait avec ces mecs qui lui payaient le cinéma, des pizzas, et lui faisaient des cadeaux, et en échange elle couchait avec eux, jusqu'à ce qu'elle en ait marre, et puis au suivant ! Mais c'était pas assez. Elle en voulait plus, et elle arrêta l'école et commença à travailler comme serveuse dans un bar pour se faire du fric, pour s'acheter plus de fringues, de bijoux, et tous ces mecs qui lui tournaient autour, ça n'arrêtait pas ! Et elle décida d'utiliser son corps d'une manière plus profitable, en devenant Nancy Grey, la strip-teaseuse, ce qui lui rapportait pas mal de fric, mais c'était pas encore assez. "Ouais, je veux devenir une star !"

Elle sortit de son bain et prit un essuie qu'elle enroula autour d'elle et elle se regarda encore dans la glace, en se disant qu'elle n'était pas une ratée, mais une gagnante sur toute la ligne.

 

MAIS QUE FAIT LA POLICE?

Gladys était vraiment crevée. Elle avait attendu Dan pendant deux heures. Deux longues heures interminables. Et cette chaleur étouffante, et ces mecs en bagnole qui la reluquaient et qui lui demandaient s'ils pouvaient l'aider. Il y eut même de sales voyous qui lui demandèrent "combien c'est, ma poule", comme si une femme ne pouvait pas rester deux heures appuyée contre un reverbère sans qu'on la prenne pour une pute. Mais qu'avait-il bien pu arriver à Dan ? Elle était si inquiète ! Elle avait hésité à traverser la rue et à aller voir les maisons d'en face, pour voir laquelle était celle des parents de Dan. Mais elle n'avait pas osé. Qu'aurait-elle bien pu leur dire ? "Bonjour, je suis la petite amie de votre fils et il m'a déposée ici et m'a dit de l'attendre car il allait se garer, et ça fait maintenant bientôt deux heures que je l'attends !" Non, c'était une mauvaise idée.

Elle se contenta d'appeler un taxi qui la déposa chez elle. Elle but un grand verre d'eau bien fraîche, puis elle décrocha le téléphone et appela Dan chez lui. Le téléphone sonnait, sonnait, mais personne ne répondait. Elle était de plus en plus inquiète ! Son coeur battait très fort, elle avait mal au ventre, et la chaleur ambiante n'arrangeait rien. Elle ouvrit les fenêtres mais dehors, il faisait encore plus chaud que dans l'appartement. " Mon Dieu !" Elle décida d'aller prendre une douche froide, pour se calmer un peu, et dès qu'elle fut sortie de sa douche, elle courut en direction du téléphone, encore dégoulinante d'eau, et elle appela encore chez Dan. Toujours pas de réponse. Et elle appela encore et encore, mais personne ne répondait. Alors elle se dit qu'il était arrivé quelque chose, et qu'elle devait peut-être appeler les flics pour signaler sa disparition. Oui, c'était peut-être la meilleure solution ! Le téléphone sonna pendant deux minutes et dès que Gladys entendit décrocher, elle se mit à parler en sanglotant:

" Allô, police ? Il faut que vous m'aidiez, mon petit ami a disparu ce midi et je ne sais pas où il est, et Ô mon Dieu, il lui est certainement arrivé quelque chose, et vous devez le retrouver, je suis tellement inquiète et…

- Il est majeur ?, demanda la femme flic qui avait encore la bouche pleine car elle mangeait un hot-dog.

- Ben oui, il est majeur, il a vingt-trois ans, mais qu'est-ce que ça change, vous devez le retrouver, il est parti et il m'a dit qu'il revenait et il n'est toujours pas revenu. Cest pas normal, vous comprenez…

- Écoutez, mademoiselle, arrêtez de vous inquiéter pour rien. il n'est que dix-sept heures et vous me dites qu'il est parti à midi, c'est-à-dire il y a cinq petites heures. C'est un grand garçon, non ? Je suis sûre qu'il va bientôt revenir ! Rappellez-nous dans quelques jours s'il ne donne aucun signe de vie et seulement si vous pensez qu'il lui est vraiment arrivé quelque chose, ok ?, continua la grosse femme flic en buvant une gorgée de limonade pour ramollir le pain du hot-dog qu'elle avait du mal à avaler.

- Mais, puisque je vous dis que..."

On avait déjà raccroché. "Non mais qu'est-ce que c'est que cette folle, dit la grosse femme flic en s'essuyant la bouche, qui était pleine de ketchup. Son petit copain se casse pendant une demi-journée et elle appelle la police. Cest plutôt à un psy qu'elle devrait s'adresser, cette névrosée !" Et elle se mit à rire et les autres flics se mirent à rire avec elle. " Faut croire que t'as raté ta vocation!", dit un autre flic et ils rigolèrent plus fort, si fort que la grosse femme avala son hot-dog de travers.

Gladys raccrocha le téléphone et se mit à maudire ces sales flics et puis, désespérée, elle se mit à pleurer. Elle se laissa tomber à terre, appuya son dos au mur et se cacha le visage de ses mains. Elle continuait à pleurer. Les larmes tombaient sur le sol. Elle releva la tête et une larme coula le long de sa joue et humecta ses lèvres. Elle passa sa langue sur ses lèvres qui avaient un goût salé et elle posa ses mains sur son ventre qui lui faisait mal. Elle savait quelle était la cause de cette douleur, et son médecin le lui avait confirmé une semaine auparavant, mais elle n'avait pas encore annoncé la merveilleuse nouvelle à Dan car elle avait peur de sa réaction. De toute façon, il était trop tard pour avorter et elle savait que Dan ne le prendrait pas trop mal s'il l'aimait vraiment. Et Dan l'aimait vraiment, car lorsqu'elle lui demandait "tu m'aimes ?", il lui répondait "oui, je t'aime."

 

LE DEMON DE L'ASPHALTE

La Cadillac roulait à fond sur la route 405. Les chromes de la bagnole étincelants, sa couleur rouge, et le moteur hurlant réveillèrent l'inspiration poétique de Jim, qui rebaptisa la Cadillac Convertible " le démon de l'asphalte". Dan qui zigzaguait entre les voitures, approuva par un " ouais, les dieux de la route, c'est nous." Il faisait des commentaires sur l'aérodynamisme extraordinaire de la bagnole et de temps en temps, il ralentissait à hauteur d'un autre véhicule et disait à Jim de mater la nana qui était au volant. Jim et Dan donnaient alors une note de un à dix et faisaient ensuite la moyenne. "7 sur 10, et toi ? 8 sur 10 ? Cela nous fait 15, divisé par 2... la note finale est donc de 7 et demi sur 10" Ils rigolaient bien tous les deux, et Jim ne pensait plus trop à ses déboires.

Ré (c'est ainsi que Jim appelait le soleil, car il aimait beaucoup la culture égyptienne) avançait lentement vers l'ouest. Et ils buvaient du whisky et fumaient des joints tout en admirant le paysage et surtout l'océan Pacifique, qui s'étendait à perte de vue, et ou le soleil irait bientôt, se dissoudre, emportant avec lui sa lumière. Et ils écoutaient une cassette de Rancid, et ils chantaient en choeur, en essayant de prendre la même voix cassée que celle du chanteur:

 

And I'm just looking for a girl! A girl with a heart of gold!

 

"On est plus très loin maintenant. " Dan quittait la route 405 pour rejoindre le long boulevard de Santa Monica. "Putain, t'as vu cette baraque... Et celle-ci... Et celle-là !", s'exclamait-il. Cela fit rire Jim car Dan avait vraiment l'air d'un petit garçon dans un magasin de jouets qui ne sait plus où donner de la tête tant il y a de jouets attrayants autour de lui.

Lorsqu'ils arrivèrent à Beverly Hills, Jim dit à Dan de ralentir un peu et de prendre à droite, sur Rodeo Drive, là où sont nichés les magasins chics de Beverly Hills. Il demanda alors à Dan de s'arrêter deux minutes devant cette bijouterie, juste là. Lorsqu'il sortit du véhicule, Jim eut une légère chute de tension. Rien de grave. Il entra dans le luxueux magasin et fût accueilli par une femme en tailleur Gucci, qui devait avoir une cinquantaine d'années:

"Bonjour, je peux vous aider ?

- Je cherche un bijou pour ma petite amie.

- Quel genre de bijou ?

- J'en sais rien. Si vous me laisser regarder tranquillement, je pourrai peut-être faire mon choix."

Jim contemplait les vitrines, se penchant pour observer de plus près les bagues et les boucles d'oreilles. La bonne femme le tenait à l'œil, alors qu'il allait d'une vitrine à l'autre. Jim ne tarda pas à remarquer ce regard insistant dans son dos. Il se retourna brusquement : " Non mais, vous voulez ma photo ou quoi ?" Et elle détourna le regard. " Combien valent ces boucles d'oreilles ?" La bonne femme se rapprocha et, d'un ton désagréable et méprisant, lui répondit que c'était de l'or vingt-quatre carats et que ça valait huit cents dollars (et tu n'as certainement pas assez d'argent et tu ferais mieux de sortir de ma bijouterie tout de suite). Mais elle changea soudainement de ton lorsque Jim sortit un paquet de billets de cent dollars de sa poche et le déposa sur le comptoir. " Je les prends !" Il laissa huit cents dollars sur le comptoir et remit le reste dans sa poche, et pendant ce temps, elle ouvrit la vitrine et en sortit les boucles d'oreilles qu'elle mit dans une petite boite noire. Et elle se mit à lui donner du monsieur : " Voilà Monsieur, excellent choix Monsieur, merci Monsieur, vous désirez un petit sac, Monsieur ? Au revoir, Monsieur." Et Jim sortit en claquant la porte de la boutique : " Espèce de connasse ! " Il retourna dans la bagnole et expliqua à Dan comment cette conne avait été désagréable avec lui et que, dès qu'elle l'avait vu sortir le fric, elle s'était mise à lui parler poliment. " Elle a certainement dû te prendre pour un paumé, avec ta veille veste en cuir et ton vieux jean." Puis, Jim montra les boucles d'oreilles à Dan.

"Eh bien, tu m'as jamais fait un cadeau pareil !

- Eh, on couche pas encore ensemble, que je sache !

- Ben, ça peut s'arranger si tu veux !

- Espèce de petite tapette, je suis sûr que tu donnerais ton cul pour de l'argent !"

Et ils commencèrent une discussion, entrecoupée d'éclats de rire, l'un demandant à l'autre s'il accepterait de se faire enculer par un homme pour cent mille dollars, et l'autre lui répondant qu'il accepterait pas pour moins d'un million de dollars, et qu'il buterait le type une fois qu'il aurait l'argent. Ils rirent tellement qu'ils en eurent les larmes aux yeux.

Ils continuèrent leur discussion jusqu'à ce qu'ils arrivent devant l'Avalon Hotel, qui ne se trouvait qu'à quelques minutes de Rodeo Drive. " Putain, c'est chic ! " s'exclama Dan.

Dix-huit heures cinq. Le timing était presque parfait. De nombreux invités se pressaient déjà devant les portes d'entrée de l'hôtel. Certains sortaient de luxueuses limousines aux vitres teintées, avec chauffeur et tout et tout, tandis que d'autres se rappliquaient dans de belles voitures de sport. " Eh bien, Jim, je vais te laisser fricoter avec la haute société ! Je vais vite passer chez mes parents pour leur expliquer pourquoi je suis pas venu ce midi. Si tu veux, appelle-moi tout à l'heure et je viendrai te chercher", dit-il en matant du côté de l'entrée, tentant d'apercevoir une ou deux bonnes gonzesses. Jim lui répondit que ce n'était pas la peine et qu'il prendrait un taxi, puis il remercia Dan chaleureusement, et le regarda s'éloigner dans " son démon de l'asphalte".

Dan s'arrêta un peu plus loin pour mettre la capote de sa Cadillac, car il commençait à faire un peu frais. Il se remit en route et rejoignit la route 10 qui redescendait vers le centre, de Los Angeles. Il ne savait pas trop ce qu'il allait bien pouvoir inventer à ses parents. Ils avaient certainement préparé un délicieux repas pour accueillir comme il se doit leur future belle-fille. Il réfléchit en buvant de temps en temps une petite gorgée de whisky, puis il se dit "mais pourquoi je me prends la tête ?" J'ai qu'à dire que Gladys s'est fait écraser par un camion, un point c'est tout. " Il se demanda si elle l'attendait encore, et il eut un peu pitié. Mais elle l'avait vraiment énervé avec ses histoires de mariage. Finalement, il se dit qu'il avait bien fait de la larguer comme ça et il espérait ne plus jamais la revoir.

Après avoir roulé pendant une demi-heure, il quitta enfin la route 10 et arriva près du Home of Peace Memorial Park. Il s'arrêta au feu rouge et s'étira un moment. Et il se demandait ce qu'il allait bien pouvoir faire ce soir. Il passa une main dans ses cheveux en se regardant dans le rétroviseur. Il se dit qu'il allait sortir en boite pour se trouver une nana qu'il pourrait ramener à la maison cette nuit. " Ouais, c'est ça que je vais faire !" Il pensa à tous ces beaux petits culs qui se trémoussaient toute la nuit dans les discothèques de la ville. Il regardait le feu de signalisation, qui était rouge, en donnant des petits coups d'accélération. Vrrr! Vrrr! Une main tenait le volant et l'autre tapait la cendre de la cigarette par la fenêtre, qui était grande ouverte. Dan était prêt à faire un démarrage en trombe pour impressionner la galerie. Rouge. Deux types cagoulés surgirent de nulle part. L'un d'eux ouvrit la portière de la Cadillac et l'autre le braqua avec son arme à feu " Sors de la voiture, enculé ! Sors tout de suite de cette putain de voiture !" Celui qui avait ouvert la porte attrapa Dan par la chemise pour le faire sortir. Rouge. Dan essaya de lui balancer un coup de pied dans les couilles. L'autre type, celui qui était armé, lui tira une balle en pleine tête. Bang ! Rouge. Ils tirèrent le corps sans vie de la bagnole et le laissèrent par terre. Le feu devint vert. Les deux types plongèrent dans la cage et démarrèrent. Le cadavre de Dan gisait sur le macadam. Et une flaque de sang se répandit autour de lui. Et des gens sortirent de leurs voitures et des piétons s'approchèrent et certains criaient " Appelez une ambulance !", mais il était trop tard. Et le feu redevint rouge.

 

ON IRA TOUS AU PARADIS

La bouilloire émettait un petit sifflement strident dans la cuisine. La petite vieille du rez-de-chaussée, Monica, se leva de son fauteuil et se traîna avec peine jusqu'à la petite cuisinière. Elle enleva la bouilloire du feu et versa l'eau dans une petite tasse. Elle y ajouta un petit sachet de thé qu'elle laissa infuser pendant deux minutes, ainsi qu'un petit morceau de sucre blanc et quelques gouttes de citron. Elle touilla le liquide brunâtre à l'aide d'une petite cuiller et retourna dans le living-room. Elle déposa la tasse sur la petite table en bois, à côté du fauteuil, et alla fermer la fenêtre car elle avait un peu froid, et aussi parce qu'elle avait peur qu'un de ces voyous qui traînent les rues la nuit rentre dans son appartement pour lui faire du mal. Elle dut s'appuyer un moment contre le mur car ses articulations lui faisaient mal, puis elle écarta les rideaux et jeta un œil dehors. Le soleil avait cédé sa place à sa petite sœur. À travers les fenêtres des immeubles d'en face, elle pouvait voir des lumières qui s'allumaient, d'autres qui s'éteignaient, et aussi les petites taches bleues des écrans de télévision. Un taxi, qui s'arrêta devant l'immeuble, vint troubler le silence qui régnait dans la rue. Un homme en sortit. Monica, malgré l'obscurité, parvint à l'identifier. C'était le jeune homme qui habitait au troisième étage, et à qui elle avait parlé ce matin. Elle l'entendit monter les escaliers. Puis tout redevint calme. Monica ferma les rideaux, rejoignit son fauteuil et s'y installa confortablement. Son dos aussi lui faisait un peu mal. Elle était allée faire quelques courses aujourd'hui et elle avait porté ses sacs toute seule, et c'était lourd. Elle avait acheté du pain, deux cartons de lait, et des légumes, avec lesquels elle faisait des soupes car elle avait du mal à mâcher les aliments. Elle avait aussi acheté de la nourriture pour chat. Elle voulut boire un peu de thé mais elle se brûla la langue car il était encore trop chaud, et elle reposa la petite tasse sur la table. Elle prit sa Bible, l'ouvrit, et reprit sa lecture à la page où elle avait laissé un petit signet, à la ligne où elle s'était arrêtée pour aller faire bouillir un peu d'eau :

 

Car telle est la destinée des enfants des hommes, telle est la destinée des animaux; leur sort est exactement le même. La mort des uns comme la mort des autres. Un même souffle les anime tous et l'homme n'a aucune supériorité sur l'animal; car tout est vanité.

 

Puis, elle leva les yeux et s'adressa à Lulu, sa chatte : " Tu vois ma Lulu, on est pareilles toutes les deux. Quand nous serons mortes, nous irons ensemble au paradis. Mais pour aller au paradis, tu dois être gentille ma Lulu, tu dois manger tout ce que maman te donne." Et elle montra du doigt le petit bol au coin de la pièce rempli de nourriture. " Et si tu manges tout ce que je te donne, on ira au paradis, et ou sera à nouveau ensemble. Oui, tous ensemble, ma Lulu. On sera dans le ciel et on sera à nouveau tous réunis."

Elle continua encore à lire un peu mais ses yeux étaient fatigués. Elle referma sa Bible et but un peu dans la tasse de thé, qui était maintenant tiède, et elle regarda les photos accrochées au mur : celle de son mari, mort depuis peu d'un cancer, et celle de son unique fils, mort lui aussi, mais dans d'autres circonstances, au Vietnam. Il était déjà tard. Monica but la dernière gorgée de thé en avalant ses médicaments et se leva pour aller caresser le chat empaillé qui se trouvait sur le meuble. " Bonne nuit, ma Lulu, à demain ! Et ne fais pas de bêtises pendant la nuit, hein !" Monica embrassa Lulu sur la tête, entre les deux oreilles et elle se rendit ensuite jusqu'à sa chambre où elle se déshabilla et enfila sa robe de nuit. Puis, elle s'assit sur le vieux lit grinçant et fit une prière pour son mari, pour son fils et aussi pour sa petite Lulu. Heureusement qu'elle était encore là, sa petite Lulu, sinon elle serait toute seule. Et elle fit son signe de croix en regardant le Christ, crucifié sur le mur de la pièce, elle éteignit la lumière, s'emmitoufla dans les couvertures et s'endormit.

Et elle faisait toujours le même rêve. Elle était dans le noir et elle avançait lentement. Et au bout d'un moment, elle apercevait une petite lumière blanche qui grandissait, grandissait, et l'obscurité faisait place à une lumière aveuglante et des ombres s'approchaient lentement, pour venir la chercher, et elle pouvait distinguer le visage de Robert, son mari et d'Henri, son fils, qui lui souriaient et lui tendaient les bras pour l'accueillir. Ils avaient tous des ailes d'ange, même sa Lulu. Et tout était merveilleux. Jusqu'à ce que le rêve prenne fin, tous les matins à son réveil. Elle s'apercevait qu'elle faisait encore partie de ce monde, et elle ne comprenait pas pourquoi Dieu ne voulait pas mettre un terme à ses souffrances.

 

KING KONG

Dès qu'il eut enfin réussi à trouver le trou de la serrure et à ouvrir la porte, Jim se rua dans la salle de bain et se mit à vomir dans l'évier. Il avait dû se concentrer durant tout le trajet en taxi, ce qui ne fut pas chose facile. Le taximan lui racontait sa vie et Jim répondait par des " oui, ah, hmm, oh ! " et sentait qu'à chaque fois qu'il ouvrait la bouche, tout risquait de sortir. Après s'être soulage dans l'évier, il but un peu d'eau du robinet pour faire passer ce goût horrible dans sa bouche, et il se rendit jusqu'au salon. Il s'écroula dans le divan bleu et s'endormit tout habillé...

Billie... Billie... Billie ? " Billie !" Il se redressa d'un coup, les yeux écarquillés. Il regarda autour de lui. Personne. Personne dans la chambre, dont la porte était grande ouverte, personne dans la salle de bains, qui était plongée dans l'obscurité. Il faisait déjà jour. Jim bailla en s'étirant. Il se rendit dans la cuisine en se frottant les yeux. Il vit le chat à côté de l'évier, qui était occupé à lécher les restes d'un spaghetti bolognaise dans une casserole. Personne. Billie n'était toujours pas rentrée. Et encore ce putain de mal de crâne, cette putain de gueule de bois. Avait-il rêvé ? Il se posa la question un instant. Il but un grand verre d'eau et retourna s'asseoir dans le divan. Il eut un tressaillement. " Mais bien sûr !" Il sortit le petit magnétophone de sa poche et poussa sur le petit bouton "play". Un petit "clic" indiqua que la bande était arrivée au bout de ses trente minutes d'enregistrement. Il la retourna et poussa à nouveau sur " play".

 

...krr...krrr...

"Bonsoir, mademoiselle Grey.

- Bonsoir.

- Nous sommes ici à l'Avalon Hotel pour célébrer vos fiançailles.

- Oui, tout à fait.

- Où avez-vous rencontré votre futur époux ?

- J'ai rencontré Pé…euh, Bob, lorsque je travaillais comme strip-teaseuse au Red Shoes, à San Francisco.

- Vous avez travaillé longtemps là-bas ?

- Euh, plus ou moins un an.

- Ok. Et ce fut le coup de foudre dès votre première rencontre.

- Oh, oui ! Il était tellement charmant, tellement gentil.

- Et très riche, aussi.

- Oui, mais cela n'a aucune importance pour moi. Je gagnais déjà assez d'argent en tant que strip-teaseuse. Euh, vous pouvez supprimer cette question ?

- J'enregistre et je garderai ce qu'il faut pour mon article. Continuons. L'écart d'âge ne vous a pas inquietée ?

- Non, pas du tout. L'âge n'est pas important. Ce qui compte, c'est l'amour.

- J'ai entendu dire que sa famille vous avait intenté un procès. C'était pour une question d'héritage, je crois.

- Oui, euh… La famille de Bob pense que je me marie avec lui pour m'accaparer sa fortune, mais ce n'est pas vrai. Il m'aime et je l'aime, c'est tout ce qui compte.

- Entre nous, est-ce que vous couchez avec lui ? Est-ce qu'il arrive encore à... enfin, vous voyez ce que je veux dire.

- Non mais vous vous prenez pour qui ? C'est pas vos oignons !

- Non mais je me disais que… enfin si vous n'avez pas… depuis longtemps… on pourrait toujours aller faire un petit tour dans une chambre de l'hôtel. Juste nous deux, hein ? Allez! Ni vu ni connu. Hein, vous en pensez quoi ? Et vos seins, c'est naturel ?

- Espèce de... espèce de connard ! Vous… Hé, ne me touchez pas ! Vous puez l'alcool ! Je…Je vais appeler la sécurité. Au secours, à l'aide ! "

...prrr...krrsh ...prrr...

" Un problème, mademoiselle Grey ?

- Oui, Cet homme a voulu m'agresser ! Foutez-le dehors !

- Veuillez me suivre, Monsieur!

- Eh, attendez ! J'ai pas fini ma coupe de champagne ! Eh, mais lachez-moi bordel!

-Allez, dégage, et qu'on ne te revoie plus dans les parages !

- Bandes de gorilles ! Vous savez pas qui je suis ! Eh, .toi là, le grand sans cervelle ! Ouais, c'est à toi que je cause King Kong, tu vas le payer cher ! T'entends ?

- Hahaha ! Cest ça ! Allez, tire toi !

- Bande d'enculés !"

…krrrr…prrr…krrsh…

" Hep, taxi !

- Bonsoir, señor.

- Bonsoir, c'est pour Huntington Beach.

- Huntington Beach ?Mais cé à oune heure d'ici !

- J'ai plein d'argent.

- Ah ! Dans cé cas, no problemo, señor.

...prrr...krrsh ...prrrr ...

" Il fait bon cé soir, vous né trouvez pas, señor ?

- Quoi ? Ah, euh, ouais.

- Vous habitez en Californie dépuis longtemps?

- Ouais.

- Moi, yé viens de Mexico. Ma femme et mes hijos sont encore là-bas mais moi yé…"

Jim pressa le bouton "stop" et déposa le petit magnéto sur la table. Il en avait assez entendu. " Ok, ok, j'ai foiré! " Il commença à tourner en rond dans la pièce. " Mais c'est pas ma faute si j'ai trop bu, bordel ! Ils n'avaient qu'à pas distribuer autant de champagne ! Ouais, le champagne à volonté, c'est leur idée, pas la mienne !" Jim se demanda ce qu'il allait bien pouvoir raconter au chef. Et Billie qui ne rentrait pas. Et pourquoi est-ce qu'on l'envoie interviewer des salopes suceuses de fric, des vampiresses! Mais où est Billie ? Et son patron va le virer s'il apprend ça ! Pourquoi Billie n'est-elle toujours pas revenue ?

Il marchait furieusement d'un côté à l'autre de la pièce. " Y'en a marre, marre, MARRE !" Il donna un coup de poing dans le mur, avec une telle violence qu'un morceau de plâtre seffondra et tomba sur le sol. " Calme-toi Jim, calme-toi. Trouve une solution !" Il sentait son sang lui monter au cerveau. Ses veines gonflaient. Il ferma les yeux et respira profondément. C'est ce que le psychologue lui avait dit de faire s'il se sentait trop nerveux, la seule fois où il avait accepté d'y aller avec Billie. " Ces gens-là, ils sont encore plus fous que nous, Billie !" C'était son prétexte pour se défiler. Il respira encore profondément durant quelques secondes. Il était encore fort nerveux mais son cœur battait un peu moins la chamade. Il prit une enveloppe sur le petit bureau, à côté de l'ordinateur, sortit la cassette du magnétophone, la mit dans l'enveloppe, prit un bic et une feuille blanche, sur laquelle il inscrivit bien lisiblement, en lettres capitales : ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE ! Il signa de son nom, plia la feuille, la mit dans l'enveloppe, la ferma, et l'adressa au magazine, à l'attention du rédacteur en chef. La décision était prise. Adieu boulot à la con ! De toute façon, s'il ne s'était pas viré lui-même, ils l'auraient certainement fait à sa place.

Il ne se changea pas et sortit pour aller poster la lettre, s'acheter un paquet de cigarettes, une bouteille de whisky, et quelques bières. Et chemin faisant, il pensait à Billie. Et en rentrant dans l'immeuble, il pensait à Billie. En montant les escaliers, il pensait à Billie. Billie, Billie, BILLIE! Il rentra dans l'appartement et donna un coup de pied dans la porte qui se referma bruyamment derrière lui. Il s'assit dans le divan bleu et s'alluma une cigarette. Il ouvrit la première bière, qu'il but d'une traite, puis en ouvrit une autre, qu'il but un peu moins vite, car son estomac protestait. Il écrasa sa cigarette et en ralluma une autre. Et il pensait à Billie. Il vida sa bière. Le chat le regardait fixement, avec ses grands yeux tout ronds. " Qu'est-ce que tu veux toi ? Va voir ailleurs ! " Il ouvrit la bouteille de whisky et en vida la moitié d'un seul coup. Il faisait très beau dehors. La bouteille lui glissa des mains et tomba à terre. " Merde !" Le liquide se répandit sur le sol et il ne resta plus qu'un fond dans la bouteille. Il la ramassa, but ce qu'il en restait, et ouvrit encore une bière. Puis, il alluma une autre cigarette, ouvrit une bière, fuma une cigarette… Le temps passait, le soleil allait à nouveau bientôt se dissoudre dans l'océan Pacifique. Et il comprit que Billie ne rentrerait plus. Et une larme coula le long de sa joue, puis une autre. Jim pleurait.

 

C'EST BEAU LA VIE

Il était déjà plus de vingt heures lorsque Gladys arriva chez sa sœur. Elle était vraiment fatiguée, elle avait dû courir comme une dératée pour attraper ce maudit bus. Et après avoir servi à boire à des crétins dans un bar toute la journée, y'a pas de quoi être en forme. Fatiguée n'est pas le bon mot, elle était crevée. Ell appuya sur la sonnette et quelques secondes plus tard, Julia, sa soeur, vint lui ouvrir. Elle n'avait pas l'air contente.

"C'est à cette heure-ci que t'arrives ?

- Je suis vraiment désolée mais ma remplaçante est arrivée en retard et je…

- Allez, rentre."

Gladys pénétra dans le hall d'entrée et enleva sa veste qu'elle accrocha au porte-manteau. Sa sœur, qui portait un tablier de cuisine, n'avait pas l'air en forme. Elle était mère au foyer, mais il faut croire que les tâches ménagères ne sont pas de tout repos. Surtout avec deux enfants dans les pattes.

"Où sont les petits ?

- Ils sont en train de jouer dans la chambre. Ils ont été insupportables aujourd'hui.

- Julia, je suis vraiment désolée d'avoir à t'imposer ça mais je vais trouver une solution. S'ils refusent de changer mon horaire, je trouverai un autre job, je…

- Ça va, ça va ! Tu es ma sœur, je ne vais pas te laisser tomber tout de même, et puis ça ne me dérange pas du tout de m'occuper de ton gosse. De toute façon, j'ai rien d'autre à faire !

Une odeur délicieuse s'échappait de la cuisine. Julia était en train de préparer à manger. Gladys la laissa derrière ses fourneaux et se rendit dans la chambre, où les deux petits garnements jouaient tranquillement. Lorsque Gladys entra dans la pièce, un des deux petits blondinets, le plus jeune, laissa tomber ses jouets, accourut vers elle et lui sauta au cou. "Maman !" Elle le prit dans ses bras et l'embrassa, puis l'autre l'imita. "Bonjour, tantine Gladys !" Elle l'embrassa à son tour et leur demanda s'ils avaient été sages. Et ils répondirent par un "oui" hésitant, puis ils avouèrent que Julia s'était fâchée sur eux car ils faisaient trop de bruit, mais qu'après ils avaient été sages et elle leur avait donné des bonbons. Leur petit air embarrassé et innocent fit sourire Gladys. "On rentre à maison Dany ?" La petite tête blonde acquiesça. Elle l'aida à mettre sa veste et ses chaussures, prit son cartable, et embrassa ensuite son neveu John. Dany se dirigeait déjà vers la porte mais Gladys le gronda. "Et alors, tu pars sans dire au revoir à ton cousin ?" Dany se retourna et alla poser un bisou tout mouillé sur la joue du petit John. Elle le prit par la main et se dirigea vers la cuisine pour dire au revoir à Julia.

"Tu ne veux pas rester dîner ?

- C'est gentil mais il est déjà tard. Je préfère rentrer pour passer un peu de temps avec Dany avant de le mettre au lit.

- Comme tu veux."

Gladys prit congé de sa sœur et arriva chez elle aux alentours de vingt et une heures. Elle commanda une pizza car elle était vraiment trop crevée pour se mettre à faire la bouffe. Elle s'assit avec Dany autour de la table de la cuisine. Dany ouvrit son cartable et montra le dessin qu'il avait fait aujourd'hui en classe. L'institutrice leur avait demandé de représenter leur famille, et Dany avait fait un joli dessin d'enfant, aux couleurs pastel. Il y avait une jolie petite maison, "ça, c'est notre maison…", à côté de laquelle se tenait un tout petit personnage, "et là c'est moi, c'est Dany !", un personnage un peu plus grand avec de longs cheveux, "...et là c'est toi !" Et au-dessus de la maison, il avait dessiné un petit nuage bleu sur lequel se tenait un autre personnage. "Là, c'est Papa dans le ciel !" Gladys en eut les larmes aux yeux. "C'est très beau mon chéri !" Elle caressa tendrement la joue de son fils qui lui sourit en retour. Elle regardait ses petits yeux, son petit nez, sa petite bouche. Dany ressemblait chaque jour un peu plus à son père. Il demanda s'il pouvait aller jouer dans la chambre et Gladys lui dit "bien sûr mon chéri !" Et elle resta assise seule dans la cuisine, le regard triste et pensif.

Le driiinnng de la sonnette sortit Gladys de sa torpeur. Elle se leva et alla ouvrir la porte. Elle paya la pizza et alla appeler Dany dans sa chambre pour qu'il vienne se mettre à table. Il tenait dans sa main un petit revolver en plastique et criait "bang, bang !" Lorsqu'il vit sa mère entrer, il pointa l'arme vers elle et cria "bang, maman, bang !"

Le soleil venait de toucher l'horizon. Jim ne s'était jamais remis de sa rupture avec Billie et il se bourrait la gueule dans un bar. Un chat fouillait les poubelles dans l'espoir de trouver quelque chose à manger. Dan reposait dans sa tombe. Un chien aboyait dans un jardin. Nancy Grey se prélassait dans sa belle villa à Santa Barbara. Un homme se faisait poignarder dans une ruelle sombre pour quelques dollars. Monica s'était endormie dans son fauteuil. Des jeunes buvaient, riaient et chantaient sur la plage, autour d'un feu. Et le soleil se coucha à l'ouest.


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Anonyme

Belle histoire, pleine de fraicheur !