Cauchemar des délices de la drogue


Par Vincent Lamy (lire aussi Des airs et Le Flingue de ma raison)

J'étais sans le sou, habitant une vieille bicoque toute pourrie, toute délabrée. C'était ce que j'avais trouvé de mieux depuis que mes vieux m'avaient foutu dehors, afin de survivre. J'avais alors affronté une tonne de galère ; Me retrouvant dans ce taudis en préfabriqué, touchant le RMI. Il y avait bien cette machine à écrire, mais à quoi bon ! Pourquoi écrire ? Ca servirait à quoi ?
Ce qui était sympa, c'était que j'avais un jardin, un espace de verdure, mon coin de paradis pour résumé. Ce qui l'était moins, c'était cette autoroute. Les voitures et les camions passaient, les rats et les hérissons trépassaient, juste au bout, aux limites de cet éden, derrière les planches de bois qui me servaient de palissade.
J'avais mis deux ans pour m'y habituer. Qu'est ce que j'en avais à foutre de savoir si ces bagnoles me gâchaient la vie ? L'alcool et les clopes me faisaient oublier que j'en avais une. Petit, à l'époque où j'étais dans le luxe, le cocon familial, j'avais vu un doc à la téloche : Des jeunes brésiliens se shootaient à la colle. Je n'étais pas mieux qu'eux maintenant,
du coup je m'y étais mis moi aussi.
La colle d'écolier, celle en tube, ce n'était pas ça ; trop soft, ça n'arrachait rien ! Je ne citerai pas de marque, mais celle qu'utilise les carreleurs, elle, c'est l'overdose au premier snif ! Souvent, J'allais au fond du jardin, mater les vroum-vroum et les tut-tuttes, la colle distiller dans une bouteille en plastique. Et j'étais là, me marrant comme un con, le
nez scotchait au goulot, pendant des heures.
C'était un de ces après-midi, où j'étais encore devant le spectacle autoroutier. J'étais surélevé sur un bidon, une main appuyée contre ma clôture, supportant tout mon corps, tandis que de l'autre je tenais ma bouteille à trip. Je dominais l'autoroute, je me sentais capable de la braver, de la défier, même si j'en crève.
J'étais content. Au loin, je vis qu'un camion, un gros poids lourd, fonçait en ma direction, qu'il allait bientôt passer devant moi. Une fois à ma hauteur, il fit un boucan monstre. C'est alors que je me mis à hurler, à pousser un cri de guerre. Mon rugissement se mêla à celui du semi-remorque.
Je voulais, par la force des poumons, l'effrayer, le pulvériser. Mais la grosse machine, cette mécanique titanesque, resta d'un stoïcisme narguant.
J'étais perdant sur le coup. Je fus soudainement oppressé physiquement, suffoquant. Je perdis l'équilibre, fus déstabilisé. J'étais presque à genou, crachant d'énormes glaires. Le fait de pousser une gueulante m'avait poignardé, la lame transperçant les côtes.
Je trouvai finalement ça génial. Ca, c'était la vie ! Fébrilement, je parvins à me redresser contre mon muret de fortune. Etais-je maso ? Mais je voulais continuer à faire le con, bêtement, comme ça, en solitaire, mieux qu'une branlette ! J'inhalai ma colle, prêt à me battre, à leur en foutre plein la vu. Je levai et agitai ma bouteille en trophée, secouai la palissade et criai comme un dingue. C'était un hymne à tous ces véhicules qui occupaient ma vie.
Une voiture, roulant à toute allure, mit du leste. Je sentis que le conducteur freinait. La caisse ralentit. Tellement prise par une vitesse insensée, qu'elle chancela, tangua, avant de s'arrêter net sur la bande de sécurité d'urgence, c'est à dire : A proximité de chez moi.
Je distinguai mal les trois individus à l'intérieur. Il y avait l'air d'avoir une sorte de bagarre entre eux. Ca s'agitait électriquement ! Les deux types à l'avant s'en prenaient à une femme à l'arrière. C'était des coriaces, pas
rigolo les types.
L'un des d'eux, celui à la place du mort, sortit, une grimace crispée de colère, et ouvrit la portière arrière. Il voulait agripper la femme et la foutre dehors. Elle ne se laissait pas faire. Il était impossible pour lui de
prendre quelque prise que ce soit, c'était une difficulté dont elle n'arrangeait pas les choses en se débattant comme une hystérique. La femme lui donna même des coups de pieds en pleine gueule. Et moi, j'étais là, sniffant un max de colle, j'assistai à ça sans réfléchir. Le gars réussit à lui saisir les pieds et à l'éjecter de la voiture. Elle était nue. Les  fesses, les seins, le sexe, à l'air. Dehors, à poil, sans une once de honte, elle insultait le type, le frappait. Elle cherchait à rentrer dans la voiture, mais il l'en empêchait. Il était bien trop costaud pour elle. Mais elle continuait de s'acharner. Sa main se posa violemment sur son visage, la recouvrant entièrement. Brutalement il la repoussa. Elle tomba, cul nu au sol. Elle se releva et tambourina une nouvelle fois.
D'une force inouïe, que j'en entendis l'impact, il lui décocha une droite monumentale. La femme était raide, inerte. Il la regarda un instant, histoire de voir si elle n'était pas morte. Elle était juste sonnée, dans les vapes.
Je la voyais d'ici, en train d'essayer sans relâche de frapper le type. Mais sa fougue et sa véhémence l'avaient abandonné sous l'effet du coup de poing.
Malgré tout, elle bataillait contre cette soudaine perte de conscience.Avec haine, il lui cracha dessus, elle, une femme nue, à terre, sans arme, rien pour se défendre. Le type se pencha depuis l'extérieur vers la boite à gant de la voiture. Le conducteur était en contradiction avec lui. Il semblait l'empêcher de faire une connerie. Ils tenaient mutuellement quelque
chose dans les mains.  C'était à celui qui l'aurait. Un jeu puéril ! Il finit par se l'approprier au détriment du conducteur.
Une fois le flingue en main, il mit la femme en joue, bredouilla des mots intelligibles à cause du flux des voitures derrière lui. Il ne pouvait que la mettre en garde, car il ne la tua pas. Ce type était une pourriture, vu la façon dont il se tenait, et qu'il maniait le pistolet avec décontraction et dextérité : Le sentiment de puissance ! Celui qu'on a quand on a un tel
pétard dans les mains. Il lui lança un dernier regard avant de remonter dans la bagnole. Et c'était là qu'il me vit pour la première fois. Il comprit que je n'étais qu'une pauvre cloche, une loque. Ce fut sans mal, sournoisement, qu'il braqua le canon sur moi. Je ne bougeai pas. Réalisai-je au moins ce qu'il faisait ? Non, sur le moment, je ne crois pas. Il avait du trouver mon regard fixe et livide : Provocateur, alors que je n'étais que dans mon shoot, complètement stone. Il m'aboya après. Son pote devenait nerveux quant à lui.
Il devait avoir hâte de mettre les voiles. Et il tira. La balle se logea dans mon bras. Je n'eus aucune réaction. Mon bras pissait le sang. L'os devait à coup sûr être en mille morceaux. Et moi, je m'en foutais. Disons que la colle avait servi d'anesthésie ! Je trempai deux doigts dans la plaie et goûtai l'hémoglobine. Franchement, je ne sais pas pourquoi j'ai eu ce réflexe à la con !
Il me regarda, l'air dédaigneux. Il eut un hochement de tête qui voulait dire que j'étais un pauvre type. Il monta dans la caisse. Crissement de pneu, l'autre avait appuyé sur l'accélérateur. La voiture pilla et s'éloigna. Il ne resta en souvenir d'eux, qu'eux ce qu'ils avaient laissé : Une femme inconsciente sur le bord de l'autoroute.
Je me penchai trop sur la clôture de mon jardin, afin de mieux voir la pauvre femme, que je valdinguai la tête en avant. Je ne pus me réceptionner avec succès, mon corps, cette lavette, déboula le long de la pente et atterrit en bas, dans un putain de faussé. Je ne sentais aucune douleur, Wouah ! Je me relevai en m'aidant du rail de sécurité. Une fois debout, il y avait devant moi : L'autoroute, cette femme mystérieuse et… des flics. Ils étaient là, ignorants tout de la situation ; C'était drôle de le voir à quel point ! Et je me mis à rire aux éclats, dans un fou rire incontrôlable.

FIN

2001


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Anonyme

Nullissime. Sans parler des fôtes d'aurtaugrafe.


nanou pat

j'aime bien te lire on se sent bien et surtout j'ai aimer Antoine continue comme ça Vincent tes textes nous font réver merci


Jean Heel

J'aime beaucoup la façon dont les choses sont décrites, simplement mais avec tant d'évidences, les choses sont là, on les sent, les ressent, on pourrait presque en arriver à humer sa bouteille à trip, l'odeur nauséabonde des voitures, entendre les pneus qui arrachent le bitume puis, l'évènement de la journée... ce qui nous ramène à notre vie, support de notre existence... il y a quelque chose qui se passe... quelque chose que l'on observe et dont on devient partie... l'illusion n'est plus... la balle qui sort du fusil et qui pénètre le bras confirme l'existence... fait le lien, ce n'était pas une hallucination


 

Antoine

Sans début ni fin. Sans queue ni tête ? Qu'a voulu dire l'auteur ?