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Sites personnels dédiés à Bukowski:

Images et commentaires sur l'artiste.

Une
introduction à son travail accompagné d'éléments bibliographiques.

Extraits de A Bad Trip relatant ses
expériences sous LSD.

Poème:The Best Way to Get Famous Is to Run Away.

Un
site allemand avec un beau portrait noir et blanc.


Portrait de Goscinny
à l'occasion de la parution de deux biographies de l'auteur.


Sur Burroughs :
biographie, interviews, articles, extraits d'écrits et autres.



Burroughs
Dans Libération : «Je préfère être inspecteur des égouts que président des Etats-Unis.» Burroughs est à Paris. En juin il a lu des contes, avec Gysin, au Centre Pompidou. Incidents. «J'ai bien aimé cette soirée. C'était comme aux temps houleux du surréalisme. Mais les jeunes qui étaient sur scène, qui ont arrosé d'eau Gysin et ma table, voulaient, de manière typiquement française, contester l'intelligentsia, l'avant-garde de vieux...»

Nouveaux
Bernard-Henri Lévy (la Barbarie à visage humain, Grasset) et André Glucksmann (les Maîtres penseurs, Grasset) sont invités à Apostrophes
le 27 mai. Libération parle des «nouveaux philosophes» à cette occasion.

Carnet
Leonardo Sciascia démissionne en février du conseil municipal de Palerme, où il a été élu en 1975 : «Quand le PCI dit vouloir construire quelque chose avec la Démocratie chrétienne, il oublie que la DC n'est pas un matériau de construction mais un matelas qui n'autorise aucun affrontement.»
«Plus d'orchidées pour Marcel», titre Libération à la mort de Duhamel, créateur de la Série noire.
«Lolita pleure Nabokov», le 2 juillet.
Mort d'Anaïs Nin,
de Prévert et de Goscinny.

     

auteur
titre
Les «Contes de la folie ordinaire», ou l'étude ethnologique,
entre cuite et cul, d'une certaine faune de la West Coast par celui qui descendait les feuillets aussi vite que les canettes de bière.

JEAN-FRANÇOIS FOGEL
13 octobre 1977

out paraît simple : Charles Bukowski est âgé, il a une gueule de vicelard, et publie le Bloc-notes d'un vieux dégueulasse dans le Los Angeles Free Press. Le territoire favori de sa prose s'étend dans les muqueuses les plus secrètes de l'organisme. Il n'y a plus qu'à dresser un procès-verbal pour attentat littéraire à la pudeur. Un délit à la mesure du saisissement de l'Amérique devant les poèmes et les écrits de cet ancien postier goûtant les délices de l'édition en livres de poche. Non que Bukowski soit plus salace ou plus lubrique que la cascade d'écrivains et de cinéastes qui bloquent la pendule des Etats-Unis à l'heure du sexe. Mais jamais personne, et pas même Miller, n'avait parlé si directement de la baise dans les grandes villes, entre des canettes de bière et des coussins de Skaï où la peau colle forcément un peu.

CHARLES BUKOWSKI.
1920-1994.
Ecrivain américain
né en Allemagne.
«Journal d'un vieux dégueulasse»,
«Contes de la folie ordinaire»,
«le Postier»,
«L 'Amour est un
chien de l'enfer».
Collection
de poche «Cahiers rouges» (Grasset).

D'abord, le mythe. Bukowski a bourlingué entre Atlantique et Pacifique. «J'ai fait une longue route, constate-t-il dans son premier roman, Post Office, pour un gars qui a travaillé dans les abattoirs, qui a traversé le pays avec des pilleurs de trains, qui a travaillé dans une fabrique de biscuits pour chiens, qui a dormi sur les bancs publics et qui a travaillé au pourboire dans une douzaine de villes.»

Inutile de reprendre les paysages traversés. Un seul compte : celui du visage de Bukowski. «Il y a une certaine beauté dans la laideur», avouait une dame à Alain Bombard, bouffi de plancton après sa dérive à travers l'Atlantique sur du caoutchouc vulcanisé. Que dire de Bukowski, le naufragé des métropoles américaines ? Ses chairs sont soufflées par l'alcool. Une maladie de sang a laissé des traces de brûlure sur ses pommettes. Quelques putes ont labouré ses joues à coups d'ongles. Et son nez ferait la fierté d'un marchand d'oignons de tulipes hollandais. C'est bulbeux, pétant de pus et de veinules à fleur d'épiderme. Un coup de rouge et on croirait Gugusse prêt à entrer en piste à Médrano. Bukowski n'est vraiment pas beau. Il a évidemment dû faire avec sa gueule, et aussi avec ses mains fines que remarquent tous ceux qui l'approchent. «Je dis aux femmes que mon visage, c'est mon expérience, et que mes mains sont mon âme, n'importe quoi pour qu'elles baissent leur culotte», plaisante Bukowski quand on détaille son anatomie. Pirouette de vieil écorché.

On va, ici, rapporter des propos fort intimes de Bukowski. Et sans aller plus loin, il convient de rendre hommage à Glenn Esterly, un journaliste de Los Angeles, qui a su les recueillir et les reproduire dans Rolling Stone. Ouvrez Atlantic Monthly, ou New York Review of Books, ou même Esquire ou le New Yorker, enfin l'une de ces vénérables revues qui fondent les réputations littéraires outre-Atlantique, et l'accablement vous saisit. On y parle de Bukowski bien sûr, mais avec cette effroyable sensation que l'œuvre est vue par un gars armé d'un télescope et qui se tient à des années-lumière du moindre texte. Glenn Esterly, lui, a eu de l'estomac pour travailler. Il est allé voir Bukowski avec des packs de bière et le désir de vider plus de canettes que l'écrivain. Il a perdu, bien sûr, mais a pu ramener des propos empreints de chaleur et de vapeur d'alcool qui collent mieux à l'œuvre du «vieux dégueulasse».

Devant Esterly, Bukowski a longuement vomi dans un parking avant de venir lire ses poèmes à un auditoire d'étudiants. Il a gagné la scène avec une Thermos pleine de vodka en confiant à l'auditoire, sur le ton admirable de fourberie des vrais alcoolos : «Ce sont des vitamines C, je dois prendre soin de ma santé.»

Et un petit poème. Et un petit coup de vodka. Et un petit bout de roman, dans ce style si direct et cru qui affole même les adolescents les moins tourmentés. C'était à la California State University : « Elle se jeta sur moi, et j'étais écrasé sous cent dix kilos de quelque chose qui était un peu moins qu'un ange. Sa bouche était au-dessus de moi et elle dégouttait de la bave et sentait l'oignon et le vin fermenté et le sperme de quatre cents mâles. Je lui ai fermé le bec et je l'ai virée. Avant que je bouge, elle était à nouveau sur moi. Elle m'agrippait les couilles avec les deux mains. Sa bouche s'ouvrait, sa tête descendait, elle me l'avait prise. [...] D'énormes bruits de succion résonnaient sur les murs et on entendait Mahler à la radio. Ma queue grossissait, s'empourprait, se couvrait de bave. Je pensais : si j'éjacule, je ne me le pardonnerai jamais...» Le coup de foudre existe chez Bukowski.

La vraie tendresse, qui ne se confond ni avec la volupté ni avec l'amour, on peut la trouver dans la nuit, à l'heure où les néons réchauffent les détresses. Bukowski est l'homme de ces instants et de ces lumières. La crudité de son langage constitue l'ultime clin d'œil du vrai dériveur urbain qui ne veut plus même sauver les apparences. La vie, il connaît : «Ce ne sont pas les grands événements qui envoient un homme à l'asile. La mort, il y est préparé, tout comme le meurtre, l'inceste, le vol, le feu, l'inondation. Non, c'est la succession continuelle des petites tragédies.»

Cet enchaînement d'accrocs qui vous foutent une existence en lambeaux, Bukowski en a eu sa part. Il y a l'enfance à Los Angeles de Charles Bukowski, né en Allemagne. Son père pratique une psychopédagogie fondée sur le maniement du fouet. Bukowski en tire un caractère renfermé, buté, avant de rompre avec son père. A 16 ans, quand on rentre bourré et que l'on gerbe sur la moquette du salon, on supporte difficilement de se faire mettre le nez dans le vomi. Une pêche sur papa Bukowski. Voilà pour le meurtre du père. Survient la fréquentation frénétique des bibliothèques. Lectures anarchiques, écrits à tous crins, et aucune publication. Bukowski laisse tomber la littérature à 25 ans et se tire. Petits boulots. Taules minables. Grosses cuites. Dix ans de maraude de job en job. Une liaison qui lui fait découvrir, enfin, la tendresse. La gueule qu'on supporte un peu mieux dans le miroir quand on se croit aimé. Et enfin, à 35 ans, un avertissement solennel des toubibs de cesser de boire sous peine de mort, une menace si sérieuse que seules des cuites quotidiennes peuvent dissiper l'angoisse.

SCANDALE CHEZ PIVOT
1977 marque la découverte en France, avec les «Contes de la folie ordinaire», de ce romancier californien.
Il aura le privilège,l'année suivante, d'être le seul invité de l'histoire d'«Apostrophes» à être viré en direct par Bernard Pivot, scandalisé par son inconduite.

Bukowski change pourtant de vie. Il trie le courrier la nuit et écrit chaque matin, sur fond de musique classique. Petit à petit, ses poèmes, ses nouvelles sont acceptés par la presse underground. Des éditeurs marginaux suivent. En 1970, Bukowski laisse tomber le courrier et se bloque derrière sa machine. Il écrit, il boit et il baise. «Un homme doit être soigneux sur la façon dont il mélange l'alcool et le sexe.» Bukowski surveille ce cocktail délicat dans son appartement à 105 dollars par mois de Western Avenue à Hollywood. Et aujourd'hui il a de quoi parvenir à un mélange harmonieux. Du pognon pour la bière et les alcools. Quant aux filles : «Elles préfèrent baiser des poètes plutôt que quoi que ce soit d'autre, même des bergers allemands. Si j'avais su ça plus tôt, j'aurais pas attendu d'avoir 35 ans pour commencer à écrire des poèmes.»

Sur sa sexualité, Bukowski est intarissable. A Esterly, il a confié entre deux gorgées : «Je suis pratiquement de la merde, mais mes jambes sont de la dynamite. Et mes couilles. J'ai des couilles franchement magnifiques. Je déconne pas : si ma queue était proportionnelle à mes couilles, je serais l'un des plus grands étalons de tous les temps. Mais en dehors de mes couilles, l'imagination est un élément clé.» Encore quelques canettes et Bukowski avoue sa découverte récente du cunnilingus. Rien n'est gratuit : «Cela prouve au moins une chose, qu'il n'est jamais trop tard pour un vieil homme qui veut apprendre de nouveaux trucs.»

L'homme qui tient ces aveux cliniques sur le sexe est évidemment un moraliste. Et Bukowski, conteur de la folie ordinaire, travaille dans le dénuement. Récits courts de vingt pages en plus. Style direct. C'est de la poésie et non du roman, selon sa définition : «La poésie en dit long, et c'est vite fait, la prose ne va pas loin et prend du temps.» Donc le poète Bukowski va au plus vite, esquive tout superflu et «tient» malgré tout le lecteur en frôlant le style télégraphique, tel ce début de nouvelle : «J'entends la sonnette. J'ouvre la fenêtre à côté de la porte, il fait nuit. Je demande, qui c'est ?»

Kerouac, et son écriture si spontanée qu'elle méritait d'être dégraissée, est loin. Le poète Bukowski a une expression autonome. Ce n'est ni la Beat Generation vingt ans après. Ni la SF anglaise ou américaine. C'est du Bukowski. Et sûrement pas du «Céline punk» comme le proclame un bandeau apposé sur les Contes de la folie ordinaire parus au Sagittaire. On songe avec douleur à l'élaboration de cette pub. «C'est bon ça, coco. Céline, c'est comme de la langue parlée, et le punk, c'est dans le coup actuellement, les épingles de nourrice, tout ça... ça fait vendre.» Quelle déprime de voir un bon ouvrage, à la traduction inspirée, affligé d'un label aussi fallacieux ! Bukowski devra boire un énorme coup pour oublier ça .


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