Buk et les Beats
par Jean-François Duval

Jean-François Duval. Buk et les Beats, essai sur la Beat Generation suivi d'Un soir chez Buk, entretien inédit avec Charles Bukowski.
Paris, éd. Michalon, 1998
197 pages

120 FF

4ème de couverture - Intro - Extraits de l'interview* (Extrait 1 - Extrait 2)- L'auteur - Où l'acheter

* "avec l'autorisation de l'auteur"
© Jean-François Duval et Editions Michalon, 1998.


4ème de couverture

" Quelles raisons à ce livre? Le pur plaisir de retrouver Buk et la Beat Generation, de se plonger un peu dans leur légende, à l'heure où tout ce mouvement fait l'objet d'un regain d'attention aux Etats-Unis, en France et ailleurs. Le plaisir aussi de retrouver Charles Bukowski, auteur culte dont la renommée ne cesse de grandir en Europe, comme de l'autre côté de l'Atlantique - où l'on n'hésite plus à le comparer, question stature, à Hemingway. Le plaisir enfin de décortiquer les liens et les contradictions entre Bukowski et la constellation Beat, faite de haine, de ressentiment et, parfois, de quelque admiration, entre les enfants terribles de la littérature américaine.

Jean-François Duval, écrivain et grand reporter, nous livre ici un essai inspiré accompagné d'une bibliographie, d'un Who's Who exhaustifs et de quelque 80 illustrations originales. L'essai se clôt par une interview inédite - Un soir chez Buk - réalisée, le verre à la main, en février 1986, au domicile de Bukowski à San Pedro. Une petite pièce de théâtre à elle toute seule, avec les coups de gueule de l'écrivain, ses souvenirs et ses défaites quotidiennes. Un moment rare. "


Intro

(Février 1986, chez Buk, à San Pedro, Californie, en compagnie de sa femme Linda Lee.)

La rencontre a lieu un lundi soir. Quelques semaines plus tôt, de l'autre côté de l'océan, nous avions reçu une carte de Buk, avec ces simples mots, tapés à la machine: Interview o.k. Skim over Hades. C'est à dire, à peu près: D'accord pour l'interview. Glissez sur la surface du fleuve Hadès... La carte était accompagnée d'un petit dessin marrant comme Buk a l'habitude d'en faire. Le dimanche soir, j'avais appelé depuis mon hôtel - le postmoderne Western Bonaventure - pour être bien sûr que ça jouait toujours, notre rendez-vous, demain, à 2 p.m. C'est Linda Lee, sa femme, qui avait répondu: Buk, après tout, préférait qu'on vienne à 8 p.m., ce serait mieux... Mieux? Okay. Et le lendemain soir à la sortie de l'hôtel, nuit déjà tombée - nous sommes en février - un chauffeur de limousine désœuvré nous propose son véhicule long comme trois Cadillac pour le prix d'un simple cab, et c'est en grand équipage, avec bar, salon et TV, que nous débarquons à San Pedro, devant la maison de l'ex-bum le plus célèbre de l'histoire de la littérature américaine, dissimulée par la verdure, où Charles Bukowski et Linda vivent depuis quelques années. Une allée bordée de rosiers pantagruéliques aux inquiétantes épines conduit jusqu'à la porte d'entrée, où il ne reste plus qu'à frapper: toc-toc-toc.
Combien de temps sommes-nous restés dans le living à peine éclairé par une bougie, Buk et moi sur le sofa, Linda, jeune, mince et belle, assise à même le sol, avec devant nous la table basse, où reposent la bouteille incarnat et les grands verres? Tout était silence alentour, à peine l'éclat par instants d'un ustensile dérangé par un chat. On voyait dehors les grands arbres bruisser. Et la soirée reste mémorable.


Extraits de l'interview

EXTRAIT No 1:

J.-F. D. - Hey! Il n'y a que la petite lumière de cette bougie allumée sur la table pour nous éclairer. Vous préférez l'obscurité?
LINDA BUKOWSKI. ? Oh! Cela vous dérange?

J.-F. D. - Oh, non, pas du tout.
LINDA. - Hank préfère généralement qu'il y ait peu de lumière...
CHARLES BUKOWSKI. - Seulement quand je bois...

J.-F. D.  - Au téléphone, hier soir, vous m'avez dit que vous préfériez que je vienne à huit heures p.m. plutôt qu'en début d'après-midi, comme nous l'avions d'abord prévu, ça a un sens, ça?
C. B. - Oh oui, ça en a un. Je ne suis pas du tout vivant pendant la journée. Durant tout le jour, je marche comme une chose morte. J'ai toujours été comme ça. Enfant, jusqu'à ce que le soleil se couche, j'étais sombre, je ne m'éclairais pas. Ma mère me disait: mais qu'est-ce qui se passe avec toi!? Tu ne fais rien avant qu'il fasse nuit, et alors tu te mets à bouger...   Alors voilà, je suis parent de la nuit. Elle est pour moi plus vivante, plus romantique, plus réelle que le jour. Le jour est si blanc qu'il m'en donne le vertige.  Je ne l'aime pas. Alors, c'était mieux que vous veniez le soir. Si vous étiez venu de jour, je serais simplement assis ici à vous dire: ... oui... okay...hon hon hon... Peut-être que c'est ce que je vais faire maintenant... (rires)

J.-F. D. - Et pas de nuit sans vin? Vous le préférez désormais à la bière?
C.B. - C'est le sang des dieux. Vous pouvez en boire beaucoup tout en restant relativement sain. Je buvais énormément de bière. Mais le vin est mieux.  Vous pouvez écrire trois, quatre heures... Le whisky est source de problèmes... Je n'en boirai pas tant que vous serez là, parce qu'alors je me sens devenir violent. Et quand je me sens devenir violent, je dois le prouver.

J.-F. D. - (rires) Ça vous arrive encore de devoir le prouver?
C.B. - (rugissements). Seulement quand je sens que ça devient nécessaire... Ça a toujours été comme ça.

J.-F. D. - (rire vaguement inquiet) Euh, que voulez-vous dire par "seulement quand c'est nécessaire"?
C. B. - Quand j'en ai envie, c'est nécessaire. Même si c'est injuste... Hé, mec, ne nous prenez pas trop au sérieux, Linda et moi!

J.-F. D. - La vie est une lutte du début à la fin?
C.B. - On le dirait. Mais je crois que le secret est dans l'allure. Lutter un peu, se reposer un peu... Se battre à nouveau...Trouver un rythme... Le rythme pour faire les choses.

J.-F. D. - Mais nous avons besoin de la lutte?
C. B. - C'est ce qu'on nous raconte. Et qu'il nous faut souffrir. Mais qui nous dit ça?... Tout ce que je veux, c'est du bonheur. Si je peux en avoir, je le prendrai vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais je ne semble pas l'obtenir... D'autres questions?

J.-F. D. - (rires) Bien sûr! Nous n'en sommes qu'au début...

Ce fragment d'interview est extrait de: Jean-François Duval. Buk et les Beats, essai sur la Beat Generation, suivi d'Un Soir chez Buk, entretien inédit avec Charles Bukowski, Paris, éd., Michalon, 1998.

Avec l'autorisation de l'auteur. Tous droits réservés. © Jean-François Duval et et Editions Michalon.


EXTRAIT No 2:

J.-F. D. - Est-il vrai que dans les années trente, après la Grande Crise de 1929, vous avez sérieusement pensé à vous lancer dans des hold-ups à la Dillinger?
C. B. - Ça m'a traversé l'esprit, et vous ne pouvez jamais savoir dans quelle mesure une chose est vraie tant que vous ne l'avez pas faite.
Avant de faire quoi que ce soit, on y pense toujours un peu...  C'est déjà le commencement de la chose... Je crois que j'aurais fait un bon dévaliseur de banques.

J.-F. D. - Ah oui? Pourquoi?
C. B. - Parce que j'ai des tripes, de l'humour et du style (rires). Mais je ne pouvais trouver personne qui soit prêt à m'accompagner. Vous savez, deux ou trois bons gars. Ou même un seul.

J.-F. D. - (rires) Vous auriez dû me rencontrer...
C. B. - Oh, vous étiez probablement au berceau... Hey babe, tu veux attaquer la banque? Tiens, suce plutôt ton biberon (rires).... Bon, c'est juste pour rire. Vous n'avez pas une cigarette?

J.-F. D. - Désolé, je ne fume pas.
C. B. - Moi non plus. Mais j'espérais que...

Linda essaie d'en trouver

J.-F. D. - Pendant toute cette période de votre vie, vous avez préféré être isolé, caché, à boire votre vin?
C. B. - Il semble que je reçoive plus de bonheur quand je suis entre quatre murs que lorsque je vois des gens, ou que je les écoute, c'est tout.

J.-F. D. - Vous en êtes arrivé à apprécier la solitude plus que de vous mêler aux gens? Au commencement, la solitude est dure, puis on y devient si accoutumé qu'on ne sait plus vivre avec les autres, qu'on a besoin
d'elle?
C. B: - Well, pour moi, ça n'a jamais été dur d'être seul. C'était toujours mieux... Ça m'était naturel. Il y a des animaux qui creusent dans le sol, qui pénètrent  sous terre, qui vont underground, qui se sentent mieux seuls dans un trou. Je suis comme eux. C'est mon instinct naturel. Quand je suis seul, je charge mes batteries. Je construis.
C'est juste comme ça: je me sens bien... Alors, je n'ai jamais été seul. J'ai été déprimé, j'ai été suicidaire. Mais être seul, ça veut dire qu'une autre personne peut résoudre ton problème. Etre seul, ça veut dire que tu as besoin de quelque chose ou de quelqu'un: je n'ai jamais été seul dans ce sens-là. Je n'ai jamais eu l'impression que quelqu'un d'autre pouvait résoudre mon problème. J'ai toujours senti que je pouvais résoudre mon problème. Tout ce dont j'avais besoin, c'était de moi-même.

J.-F . D. - Et le suicide...
C. B. - Le suicide?

J.-F. D. - Oui, vous venez d'en parler, mais l'idée du suicide n'est pas
très présente dans votre oeuvre.
C. B. - Le suicide, c'est juste se laisser décourager par le jeu qu'on a en mains. Vous voudriez relancer les dés une seconde fois, tenter une nouvelle donne - parce qu'on sent bien que c'est un jeu. L'idée du suicide naît de là. L'ennui, c'est que vous devez vous trancher cette foutue gorge, c'est salissant, éprouvant. Un tas de pensées vous poussent au suicide, et un tas d'autres vous retiennent: hé! attends! peut-être que tu ne te la trancheras pas bien nette! Et que tu ne parleras plus qu'avec la moitié de la gueule pendant le restant de tes jours! Moi, c'est ce que je me disais: que je pourrais me retrouver dans une situation bien pire. Et ça, ça me redonnait toujours de la force.
Donc, j'ai fait mon choix contre le suicide. Enfin, je crois.

J.-F. D. - Certains devaient sentir cette force chez vous. Les seules personnes qui vous approchaient étaient des losers, des perdants, non? Vous les attiriez?
C.B. - Yeah. J'ai attiré quelques mauvais numéros, de vrais imbéciles. (à Linda) Comme Baldy, hein? Ça m'a pris une vie entière pour me débarrasser de certains...

J.-F. D. - Comment expliquez-vous ça?
C. B. - Ils trouvaient quelqu'un qui les nourrissait avec quelque chose.  Une sorte de force. Quelque chose qui les faisait sentir mieux. Alors, ils me collaient aux basques. Parfois, je disais: allez, casse-toi! marre de toi, lâche-moi les baskets!  Et ils se tiraient pendant un bout de temps. Puis ils revenaient... Les perdants semblent m'aimer. Peut-être parce que je les symbolise. Ou plutôt, que je symbolise un perdant qui ne s'est pas encore fichu en bas d'une falaise.... Je reçois des tas de lettres de gens qui sont en prison, en Nouvelle-Zélande, en Orient, en différents lieux... Ils aiment ce que j'écris. Un type de Nouvelle-Zélande... non, c'en était un d'Asie, me disait: vous êtes le seul écrivain que les détenus lisent ici, on se passe vos livres de cellule en cellule. Pour moi, c'est un grand
honneur. Parce que les gens les plus difficiles à duper sont toujours en enfer. C'est un bon gang qui me lit là-bas. Un gars, ça c'est le type de Nouvelle-Zélande, un garde lui dit un jour: tu me prêtes ton bouquin? Et lui, il lui hurle contre: NOOON!!!  BUKOWSKI N'AIMERAIT PAS ÇA! Le garde s'est tiré avec le rouge au front. Alors voilà, il y a des gardes et des prisonniers en Nouvelle-Zélande qui s'engueulent à cause de moi... Les losers ont tendance à m'aimer, oui. Et il y a même quelques gagnants qui commencent à m'aimer! Ça, ça me préoccupe, mais c'est une autre
histoire.

J.-F. D. - Vous vous sentez encore un perdant, vous-même?
C. B. - Je n'ai jamais été un perdant. Je perdais, simplement. (Claquement d'un briquet). Certains jours, je suis un perdant, et certains autres, je ne le suis pas - comme vous. Ça dépend de ce qui se passe ce jour-là, ou cette nuit-là. Aux courses, vous savez, chaque jour est différent... Et la vie est comme ça, certains jours je me sens un perdant, et certain jour un gagnant, et certains jours, je ne me sens fichtrement rien du tout... Buvons.

J.-F. D. - Si vous en avez assez, si vous êtes fatigué, dites-le moi.
C. B. - Oh, hell! Vous plaisantez! Moi, fatigué? Je peux parler pendant huit ou dix heures. Pourvu qu'il y ait assez de vin, je peux parler pendant des jours...

Ce fragment d'interview est extrait de: Jean-François Duval. Buk et les
Beats, essai sur la Beat Generation, suivi d'Un Soir chez Buk, entretien
inédit avec Charles Bukowski, Paris, éd., Michalon, 1998.

Avec l'autorisation de l'auteur. Tous droits réservés. © Jean-François
Duval et et Editions Michalon.


Jean-François DUVAL

Journaliste et écrivain, auteur d'une demi-douzaine de livres, dont le dernier paru est Boston Blues: routes de l'inattendu, paru chez Phébus en 2000 dans la collection "d'ailleurs". Jean François Duval a rencontré plusieurs acteurs de la mouvance beat (sur laquelle il a un autre ouvrage en chantier) comme Allen Ginsberg, Carolyn Cassady, Ken Kesey, Joyce Johnson, Timothy Leary, Anne Waldman. Jean-François Duval vit actuellement à Genève.

A lire l'interview donnée par Jean-François Duval à lors de la sortie de Buk et les Beats
http://www.construire.ch/SOMMAIRE/9815/15entret.htm


Où acheter Buk et les Beats :

Alapage.com : (à lire : articles paru sur Buk et les Beats dans le Monde (article très bien fait de Jean-Luc Douin) ainsi que le texte d'une info faite sur le livre par France Inter) également disponible du même auteur : Boston Blues

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Fnac.com également disponible du même auteur : Boston Blues et, préfacés par Jean-François Duval un roman autobiographique : La Route de Jack London, paru dans la collection Libretto de Phébus, et un recueil d'aphorisme : Un climatiseur en enfer, de Roland Jaccard