Ivre
(Au vin noir des désespérés)
Ivre.
Ivre de vin, ivre de bière,
Ivre de peau, ivre de chair,
Il se répand, il se dénude ;
Elle attend ivre de solitude.
L'Amour est un acte secret
Ratifié à l'encre des rêves.
Quelle plume usent-ils, lui qui achève,
Qui baise, qui troue, et elle qui braie ?
Ivre.
Ivre de sang, ivre de guerre,
Ivre de chants, clameurs d'artères,
Moribond des boues, des tranchées,
Il exhale ses dernières pensées.
Elles
ne sont pas pour celle qui l'aime
- Ivre de peur, de chrysanthèmes -
Mais pour une pute à quatre sous
Qui pour qui paie fait presque tout.
Ivre.
Ivre de temps, ivre de mer,
Ivre de sel et de calcaire,
Un marin pour tromper l'ennui
Offre sa solde, prix d'une nuit,
Dans
un bordel d'Europe du Nord,
Puis le cœur sec remonte à bord,
Met le cap sur de folles pêcheries,
Trinque à la mort, ivre de vie.
Enfin,
ivre.
Ivre de sueur, rouge de misère,
Le soir venu, rentre sous terre
L'ouvrier au teint cireux, jaune,
Ivre de pain, de Côtes-du-Rhône.
Nous
sommes ces soiffards, ces ivrognes,
Saouls de pleurs, putes, viandes que l'on cogne.
Quand la roue tourne, nos coupes se vident
Essorant nos âmes tristes, arides.
Et à ceux qui n'ont pas goûté
Au vin noir des désespérés :
Riez donc bien tant que pouvez
Car un jour c'est vous qui boirez.
Sur
ce, moi je vais me coucher
Pardon, je suis complètement… ivre.
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